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TITIEN (1488 env.-1576)

Par-delà l'influence de Giorgione

La longue vie de Titien – presque un siècle – fut marquée par une évolution complexe de sa mentalité et de celle du temps où il vécut. C'est en relation avec le renouvellement apporté par la vision de Giorgione que se déploie l'activité de Titien au cours de la première période, pour laquelle on peut envisager deux moments. Si on laisse de côté l'époque la plus ancienne, sur laquelle on n'est pas bien renseigné mais où la critique moderne voit le moment de l'imitation consciente de Giorgione (Portrait d'homme, Kress, caissons du musée de Padoue), c'est dans la décoration à fresque du Fondaco dei Tedeschi (1508) que Titien révèle sa personnalité, alors qu'il travaille aux côtés de Giorgione. Des estampes du xviie siècle d'A. M. Zanetti, des images fragmentaires et usées qui ont été restituées, permettent d'appréhender la richesse du sentiment artistique qui caractérise Titien et par lequel celui-ci, dans un style dramatique, semble se distinguer consciemment du maître. Une telle liberté d'action est au principe du cycle des fresques de la Scuola del Santo de Padoue (1510-1511), dans lesquelles Titien substitue aux conceptions symboliques de Giorgione de dramatiques noyaux narratifs, avec des couleurs ardentes et sur des fonds de paysage évocateurs. Mais, à la fin de 1510, Giorgione étant mort de la peste et ayant laissé inachevées certaines de ses œuvres, une transformation s'opère dans le rapport de Titien à son ancien maître. Les témoignages de ses contemporains font état d'une intervention de sa part dans l'achèvement de la Vénus endormie (Gemäldegalerie, Dresde) ; les critiques lui ont attribué, avec raison semble-t-il, d'autres opérations analogues, notamment à propos du Concert champêtre (musée du Louvre, Paris), dans lequel l'intuition qu'avait Giorgione d'une condition humaine en accord avec la respiration de la nature se trouve splendidement mise en œuvre, mais avec des couleurs plus intenses et d'un pinceau à la fois doux et rigoureux. Des tableaux comme La Vierge et deux saints du Prado et le Noli me tangere de la National Gallery de Londres apparaissent comme le résultat d'une intense méditation de l'art de Giorgione, dans des formes toutefois plus construites, avec une pureté et une luminosité qui rappellent Bellini. L'équilibre des éléments formels, tant dans la composition des personnages que dans leur accord avec l'environnement naturel, caractérise, jusqu'en 1515, les œuvres de Titien : l'Allégorie des trois âges et la Sainte Conversation de la National Gallery of Scotland, le Portrait d'homme du Metropolitan Museum, l'énigmatique Amour sacré et amour profane de la villa Borghèse sont parmi les exemples les plus représentatifs de cette époque. Le pouvoir d'évocation de Giorgione a agi en profondeur, il a contenu le dynamisme du jeune peintre, il a porté celui-ci à réaliser un idéal de beauté, compris de manière classique, dans des rythmes formels amples et solennels, avec des couleurs lumineuses qui font la preuve d'une préoccupation foncière, spontanée, de reconstruire dans l'imaginaire l'harmonie du cosmos. En cet effort pour atteindre un monde d'un équilibre supérieur s'exprime la profonde intuition du caractère dramatique de la condition humaine, tel qu'il apparaît dans des œuvres d'allure plus tumultueuse comme la Vierge de l'Assomption (1516-1518) dans l'église des Frari à Venise et le polyptyque de Brescia (dans l'église des saints Nazaire et Celse, 1522) dont le panneau central représente la Résurrection. Dans de telles œuvres, Titien célèbre la victoire de la mort en des formes d'une puissance insolite, selon une composition aux rythmes serrés, qui témoigne d'une connaissance approfondie[...]

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Écrit par

  • : directeur au Centre international d'éducation artistique, U.N.E.S.C.O.

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Médias

<it>Portrait de Caterina Cornaro</it>, Titien - crédits : Nimatallah/ AKG-images

Portrait de Caterina Cornaro, Titien

Portrait de l'Arétin, Titien - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait de l'Arétin, Titien

<it>Vénus endormie</it>, Giorgione - crédits :  Bridgeman Images

Vénus endormie, Giorgione

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