GOBBI TITO (1913-1984)
La tradition familiale voulait qu'il fût juriste. Après de solides humanités, il fit donc des études de droit. Sans peine, mais aussi sans enthousiasme. La musique, le chant, les planches l'inspiraient, et la passion l'emporta sur ce qui, autour de lui, passait pour de la raison. Il était né le 24 octobre 1913 à Bassano del Grappa, près de Venise. Il y vécut heureux. Pourtant, il quitta sa Vénétie pour Rome où, de 1933 à 1938, il reçut, notamment du ténor Giulio Crimi, une formation vocale et musicale très complète.
En 1937, il est lauréat, premier nommé, du concours de chant de la Scala, puis l'emporte triomphalement devant plus de trois cents rivaux au terrible tournoi vocal de Vienne. C'est l'envol. Le Teatro Reale de Rome, quelques petits rôles pour vaincre le trac, puis, curieusement, des barytons wagnériens : le héraut de Lohengrin, Günther du Crépuscule des dieux, Telramund, Wolfram..., des rôles germaniques qu'il laissera vite à d'autres non sans être passé par le Jokanaan de la Salomé de Richard Strauss et, surtout, par un Wozzeck qui fit de lui une vedette à Rome en 1942 et une star pour les connaisseurs — ils étaient peu nombreux chaque soir dans la salle, mais il y avait heureusement parmi eux des journalistes influents — à la fin de 1949 à Naples, sous la direction de Karl Böhm, puis en juillet 1952 à la Scala sous la direction de Dimitri Mitropoulos. Faut-il voir dans cette erreur d'orientation initiale l'origine du processus inexorable de dégradation d'une voix essentiellement italienne, si facile, si rayonnante au départ ? Peut-être. Figaro éblouissant et naturel (celui de Rossini), il devra vite masquer l'érosion de l'aigu par le flot sans cesse renouvelé d'une verve inépuisable. Qu'importe alors le chant puisque, s'appuyant sur une musicalité scrupuleuse, il y aura désormais la formidable présence scénique d'un acteur consommé, tour à tour comique inénarrable (Gianni Schicchi, Belcore, Falstaff...), personnage odieux (Scarpia, Iago...) ou poignant héros (Posa, Simon Boccanegra...) ! Et du Germont de 1938 à son dernier Falstaff, ce seront près de quarante ans de carrière avec plus de quatre-vingts rôles à son répertoire, et chaque fois une caractérisation très poussée, une étude fouillée du personnage et une sensibilité attentive à ses partenaires. Si le « Met » à New York le boude — là-bas, le jeu compte moins que la puissance et la beauté de la voix —, toutes les scènes lyriques qui comptent se le disputent. Le Covent Garden de Londres en fait son héros. De 1955 à juillet 1974, il y donnera cent cinquante représentations dans douze rôles différents,parmi lesquels un inoubliable Don Carlos de Verdi, en 1958, sous la direction de Giulini et dans la mise en scène de Visconti où, aux côtés de Boris Christoff, de Gré Brouwenstijn et de Jon Vickers, il atteignit les cimes de l'art et de l'émotion, et un formidable Scarpia qui sut si bien affronter l'impérieuse Tosca de Maria Callas.
Tito se produisit longtemps sur scène mais, avec lucidité et intelligence, il sut abandonner à temps les rôles qui devenaient trop lourds. Il eut le souci de transmettre le flambeau aux jeunes et ses master classes aussi bien que le concours international de Bassano del Grappa, sa ville natale, auront fortement contribué à faire lever le bon grain.
Tito Gobbi meurt à Rome le 5 mars 1984.
Tito Gobbi a participé à de très nombreux enregistrements intégraux. Il y fut le plus souvent le partenaire baryton — c'est-à-dire traître, père ou joyeux compagnon — de Maria Callas. Il fut l'ignoble Scarpia, en 1953, dans une fulgurante Tosca dirigée par De Sabata . Il fut en 1954, avec Di Stefano et Serafin, le partenaire de la plus belle Lucia de Callas et, auprès de cette peu fréquente Rosine, un[...]
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Écrit par
- Jean ZIEGLER : critique musical
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Médias