HAYNES TODD (1961- )
Icônes et idoles
Todd Haynes sait depuis le début qu’il doit adopter un langage lisible dans ses mélodrames (Loin du paradis, Mildred Pierce et Carol), dans lesquels il travaille la matière lyrique et chromatique afin de mettre en évidence tous les enjeux sociaux (sexuels, racistes, de classe) qui les traversent. Son approche est beaucoup plus syncopée et poétique dans ses portraits d’icônes de la pop culture : des figures proches de David Bowie, Iggy Pop, Lou Reed dans Velvet Goldmine, et une évocation en forme de mosaïque de Bob Dylan dans I’m Not There.
Dans Velvet Goldmine, un ex-fan de Brian Slade devenu journaliste reconstitue la vie, les liaisons (hétéro et homosexuelles) et l’héritage artistique de ce musicien qui a fait croire à son suicide. Il ne s’agit évidemment pas d’un biopic, mais d’une ode trouble aux années 1970, qui commencent au lendemain de la libération sexuelle et se terminent avec un drastique retour à l’ordre.
Six interprètes sont mis à contribution dans I’m Not There, comme autant de facettes de l’insaisissable Bob Dylan. Le spectre des représentations est large puisqu’un jeune Afro-Américain, Marcus Carl Franklin, tient le rôle d’un Dylan adolescent fugueur qui trouvera en Woody Guthrie un père imaginaire. Ben Whishaw, qui se fait appeler Arthur Rimbaud et qui incarne un Dylan jeune, raconte sa vie (des bribes renvoyant aux divers épisodes du film) dans une salle d’interrogatoire. Les mises en abyme s’enchaînent sans limites : ainsi, Heath Ledger interprète un acteur fictif qui aurait tenu le rôle de Dylan dans un film. Enfin, le Dylan le plus crédible, tant physiquement que sur le plan biographique, est Jude Quinn, celui des années 1960, rôle tenu par Cate Blanchett. Cet époustouflant Citizen Kane de la pop culture représente la face dionysiaque de l’œuvre de Todd Haynes.
Après Loin du paradis et la mini-série télévisée Mildred Pierce, adaptée du roman de James M. Cain, Todd Haynes parachève sa trilogie mélodramatique avec Carol, une chronique romanesque de l’Amérique des années 1950, alors que le rock and roll est encore dans les limbes et que le maccarthysme prend son expansion. L’action du film, adapté du roman de Patricia Highsmith The Price of Salt (1952), se passe cinq ans avant les événements décrits dans Loin du paradis. C’est dans un New York frigorifié que naît une relation amoureuse entre deux femmes d’âge et de condition sociale différents : une riche bourgeoise quadragénaire, Carol (Cate Blanchett), et une jeune photographe de quinze ans sa cadette, Therese (Rooney Mara). Grâce à une écriture à la fois souple et baroque, Todd Haynes parvient à dialoguer avec Hollywood sans pervertir ses propos ni ses thématiques. Carol et I’m Not There évoquent les deux visages de Janus. L’un est lumineux, l’autre plus sombre.
Le cinéaste revient, en 2019, avec Dark Waters, d’une manière plus politique et réaliste qu’à son habitude, sur le malaise récurrent de nos sociétés contemporaines – qui a ici un nom, le profit capitaliste. Il traite de l’histoire vraie de l’avocat Robert Bilott qui s’est évertué, à ses risques et périls, à dénoncer les pratiques de l’entreprise chimique DuPont, laquelle a pollué les eaux de Virginie-Occidentale, empoisonnant insensiblement les habitants et les animaux de cet État.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
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Média
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