TŌKYŌ
D’abord une capitale politique
Ancêtre de Tōkyō, Edo (« Porte de la baie ») est à l'origine un petit village de pêcheurs. Cet endroit est choisi en 1603 par le clan vainqueur des Tokugawa pour installer la nouvelle capitale. Sa situation est géopolitiquement stratégique car au centre d'un archipel dont l'occupation humaine, articulée sur un front pionnier rizicole, remonte vers l'est et le nord. Son site est commode : au contact des collines du plateau de Musashino et d'une plaine alluviale, au fond d'une baie bien protégée et au débouché d'un des bras du fleuve Tone. Ce contact avec le réseau hydrographique de la plaine du Kantō favorise le transport fluvial et l'approvisionnement en eau.
Devenue la cité des nouveaux shōgun, Edo incarne la conquête du pouvoir via l’unification du pays par la classe guerrière, au détriment d'une aristocratie déclinante et d'une bourgeoisie anéantie à la fin du « long seizième siècle ». À partir du xviiie siècle, la classe des marchands regagne cependant du pouvoir grâce à sa richesse et à son mode de vie, connu sous le nom de « culture d'Edo ». Elle triomphe en appuyant la fraction moderniste de l'aristocratie qui conduit à la restauration impériale de Meiji (1868).
En déménageant la cour impériale de la surannée et aristocratique Kyōto à Edo, aussitôt rebaptisé Tōkyō ou « capitale de l'Est » en novembre 1868, le nouveau régime donne un signal fort du changement et instaure une centralisation moderne de la société. Le nouveau toponyme révèle cette ambition car « l'Est » désigne aussi bien l'Orient du Japon, avec une translation du centre antique, que l'Orient de l'Asie dont elle se veut le futur maître.
Le pouvoir central, l'État, qui siège à Tōkyō, se garde de donner une trop grande autonomie à la ville en tant que cité. Cette attitude prolonge la méfiance des Tokugawa qui ont soigneusement séparé les patriciens des plébéiens dans Edo. Une contradiction s'instaure entre la concentration spatiale inhérente au nouveau capitalisme d'État, favorisant l'extension de Tōkyō au détriment, souvent, d'un aménagement plus équilibré du pays, et la gestion locale de plus en plus complexe du nouvel ensemble urbain.
L'hostilité récurrente que l'oligarchie meijienne éprouve envers l'autonomie des collectivités locales s'ajoute à la nécessité de maîtriser la capitale comme symbole de puissance aux yeux du peuple et de l’étranger. Cette pression se traduit par une mainmise écrasante du défunt ministère de l'Intérieur (1873-1947), qui désigne les maires et les préfets et qui contrôle directement l'urbanisme grâce à ses propres fonctionnaires. Les redécoupages incessants du département et de la ville de Tōkyō de 1868 à 1945 témoignent des difficultés pour trouver le bon module politique et territorial.
Apparu au début du xxe siècle, le néologisme à connotation moderniste de teito, ou « capitale impériale », est propagé au cours des années 1930 et 1940. Ces deux décennies incarnent la reconstruction moderne de Tōkyō après le séisme de 1923 et l'hégémonie d'une « tennōcratie » militariste et fascisante (le pouvoir de l’empereur, ou tennō).
Le 1er juillet 1943, la préfecture (fu) et la ville (shi) de Tōkyō sont fondues en une seule et même entité, le T̄ōkȳo-to. To est une autre lecture de l'idéophonogramme miyako qui s'appliquait à Kyōto et qui signifie « cité de l'empereur ». Chaque arrondissement du centre de Tōkyō se voit attribuer le statut de ville, tandis que le préfet administre l'ensemble du département. La faible autonomie de la ville de Tōkyō (l'ex-T̄ōkȳo-shi) disparaît au profit d'un ensemble plus vaste qui traduit, en pleine guerre, la volonté de l'État de centraliser[...]
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Écrit par
- Philippe PELLETIER : professeur des Universités
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