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TŌKYŌ

Des banlieues calmes

La banlieue tōkyōte forme l’univers des générations des baby-boomers, nés juste après la guerre et dont les descendants n'ont connu que la ville et la mégalopole. Les quartiers centraux demeurant inaccessibles aux jeunes ménages peu fortunés, elle devient l'espace essentiel de la ville.

L'adoption du mode de vie urbain et la nucléarisation de la famille ont supprimé la cohabitation entre grands-parents, enfants et petits-enfants. La vie en banlieue rompt avec le milieu local traditionnel en tant que réseaux de solidarité familiale et villageoise. Qu'ils soient pavillonnaires ou composés de grands ensembles, les quartiers résidentiels périphériques semblent peuplés de cohabitants anonymes malgré un renouveau de la vie associative. Ils paraissent uniformes avec leur quartier animé autour de la gare, leur parking à vélos et leurs voitures, leur essaimage de « restaurants familiaux », de fast-food ou de supérettes ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Certaines banlieues ont encore une population jeune, d'autres sont vieillissantes. Dans les cités-dortoirs de la Haute Croissance qui les ont accueillis, les baby-boomers sont désormais à la retraite et leurs enfants sont partis vivre ailleurs. Devenus inutiles, crèches et écoles ferment, squares et jeux d'enfants se délabrent.

Les « nouveaux immigrés » (nyūkāmāzu, de l'anglais new comers), souvent d'origine asiatique ou d'ascendance japonaise (les Nikkeijin), sont environ 400 000 dans les vingt-trois arrondissements de Tōkyō (un tiers de Chinois, un peu moins de Coréens), et près du double dans la sphère capitulaire. Contrairement aux « anciens immigrés », les Coréens notamment, qui se regroupaient dans certains quartiers de la Ville Basse comme Mikawashima, ils se diffusent dans l'ensemble de la mégapole, en proche banlieue ou bien dans de nouveaux quartiers : les Chinois à Ikebukuro, les nouveaux Coréens à Ōkubo, les Nikkeijin dans les villes industrielles périphériques comme Ōizumi ou Isesaki.

Contrairement à la plupart des métropoles occidentales, la banlieue n'est pas au Japon le lieu où se cristallisent les antagonismes sociaux. Au contraire, elle représente, du moins jusqu'à une période récente, l'espace social où se concrétise une idée de la prospérité, sur la base du consumérisme, d'une suprématie subjective de la classe moyenne et du « my-homisme » (maihōmushugi, de my home, l'idéologie du chez-soi et de la maison individuelle).

Comme l'analyse le géographe Augustin Berque, l'espace périurbain japonais reste dans le cadre socioculturel d'un paradigme nippon récusant la distinction entre la ville et la non-ville, c'est-à-dire la campagne ou la nature. L'écoumène nippon prend sens dans un gradient où les profondeurs de l'espace sauvage demeurent des repères fondamentaux à travers toutes sortes de métaphores abstraites ou concrètes : maintien de bois sacrés dans la nappe urbaine autour des sanctuaires, présence de temples, labyrinthe de ruelles et d'impasses, utilisation subtile des reliefs, entrelacs de champs et de rizières.

La ville se définit ainsi par une polarisation inverse à celle de la « profondité » (okusei), laquelle donne la priorité à l’horizontal, au caché et au lointain, plutôt que par une démarcation vis-à-vis de la non-ville. Des phénomènes modernes comme l'étalement urbain, l'exurbanisation ou la rurbanisation sont donc loin d'avoir, sur le sens de la ville, les mêmes conséquences à Tōkyō qu'ailleurs. Le néologisme de kōgai, qui sert à transcrire le terme de « banlieue », et qui n'était guère utilisé même par les spécialistes de la ville, connote des éléments positifs. Les nouvelles générations ont relâché, sinon perdu, le contact avec le pays natal provincial de leurs ancêtres.[...]

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Japon : carte administrative - crédits : Encyclopædia Universalis France

Japon : carte administrative

Tōkyō : définitions géographiques - crédits : Encyclopædia Universalis France

Tōkyō : définitions géographiques

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