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TOLÉRANCE ZÉRO

La tolérance zéro a-t-elle fait baisser la délinquance aux États-Unis ?

Durant de nombreuses années, l'expérience new-yorkaise a fait autorité auprès des hommes politiques et des journalistes américains. Depuis la fin des années 1990, alors qu'elle s'étendait à d'autres pays comme la France, la mode a cependant un peu passé aux États-Unis. Peu d'experts américains soutiennent encore aujourd'hui que la chute de la délinquance et de la criminalité à New York est due fondamentalement à la politique de tolérance zéro. Les recherches statistiques et les comparaisons régionales et internationales délivrent les constats suivants : d'abord, la criminalité avait commencé de diminuer à New York dès 1991-1992, soit avant l'arrivée de Bratton ; ensuite, des baisses de la criminalité parfois comparables à celle de New York ont eu lieu dans quantité d'autres grandes villes américaines qui n'ont pas mis en œuvre une politique de tolérance zéro (par exemple Boston, Houston, San Diego ou encore Dallas) ; enfin, une baisse de la criminalité comparable à celle des États-Unis a également été enregistrée au Canada, pays dont les politiques policière et pénale sont profondément différentes. À cela, on peut ajouter l'opinion de beaucoup de chercheurs selon laquelle cette nouvelle politique policière n'a pas eu d'effet significatif sur la consommation et le trafic de drogues. Sur un plan général, ce n'est donc pas fondamentalement la tolérance zéro qui explique la baisse de la criminalité et de la délinquance.

Les recherches déjà mentionnées indiquent que deux facteurs macrosociologiques ont un rôle statistiquement déterminant : la démographie et l'économie. Souvent oublié, le facteur démographique joue un rôle important à l'échelle historique. Au cours de son histoire, une société n'a pas toujours le même pourcentage de jeunes âgés, par exemple, de quinze à vingt-cinq ans. Aux États-Unis, l'évolution démographique a été marquée par l'arrivée des enfants du baby-boom après la guerre, puis par celle de leurs propres enfants qui, précisément, ont atteint l'âge adulte autour de 1990. Depuis lors, la proportion des jeunes dans l'ensemble de la population américaine décroît fortement. Ensuite, le facteur économique demeure déterminant. Le taux de chômage a baissé de 36 p. 100 aux États-Unis au cours des années 1990, de 27 p. 100 au Canada. Ces deux facteurs globaux sont communs à l'ensemble du continent nord-américain où se constate partout la baisse du crime. Pourtant, le Canada et les États-Unis n'ont absolument pas la même politique pénale. Ainsi, le taux d'incarcération a légèrement baissé au Canada au cours des années 1990 alors qu'il a augmenté de plus de 40 p. 100 aux États-Unis durant la même période, et l'évolution du taux de policiers par habitant indique la même opposition de tendance. Enfin, de nombreux chercheurs proposent une troisième explication de la baisse de la criminalité dans les grandes villes américaines, en particulier de la baisse des homicides et des vols avec violence : à savoir une modification de la consommation et du trafic de drogues, la fin de « l'ère du crack ».

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Écrit par

  • : sociologue, chercheur au C.N.R.S. (Cesdip), enseignant à l'université de Saint-Quentin-en-Yvelines

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Autres références

  • ENFANCE (Situation contemporaine) - Le droit de l'enfant

    • Écrit par
    • 9 311 mots
    ...notion d'insécurité, dont l'apparition est pourtant datée (1983) et politiquement connotée comme une invention de l'extrême droite ; il en est de même de la tolérance zéro, empruntée à la campagne électorale d'un maire de New York et transposée sans précaution dans un fonctionnement judiciaire français...