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TOLÉRANCE ZÉRO

Une nouvelle régulation des désordres urbains et ses effets pervers

Est-ce à dire que le nouveau management policier de Bratton est sans aucun effet ? Il semble logique de penser que cette politique a dû réduire les petites délinquances de voie publique et les désordres les plus visibles (mendicité, prostitution, errance de toxicomanes et d'alcooliques), qui préoccupent traditionnellement fort peu la police alors qu'ils font l'objet des principales récriminations des habitants et des commerçants. À notre connaissance, il n'existe pas d'évaluation scientifique sur ce point, mais il est probable que ce phénomène existe, même si – c'est un constat classique – le renforcement des contrôles a souvent d'autres effets : celui de déplacer les problèmes au lieu de les résoudre (par exemple, les clochards et les prostituées chassés d'un lieu ne disparaissent pas pour autant, ils trouvent d'autres lieux), et celui d'amener les délinquants à s'adapter à la nouvelle tactique policière (c'est ainsi que les saisies d'armes à feu dans le métro avaient été spectaculaires au début, puis avaient chuté rapidement). Mais, pour les autres délinquances, la simple observation de ce qui constitue le travail ordinaire de police suffit déjà à faire douter que celui-ci puisse avoir des incidences majeures sur des phénomènes comme l'homicide, les bagarres entre voisins et entre bandes rivales de jeunes ou encore les violences domestiques.

Enfin, l'évaluation ne serait pas complète si l'on ne signalait pas un effet pervers important de cette nouvelle politique policière. Les commentateurs français oublient le plus souvent d'indiquer que l'un des effets de la politique menée à New York a été d'accroître fortement les abus de pouvoir et les violences commises par les policiers au cours des contrôles effectués sur la voie publique, et dont les victimes ont été massivement les jeunes noirs des quartiers pauvres. Si une partie de la population est donc satisfaite de l'intensification des contrôles policiers, une autre en fait les frais. C'est ainsi que, selon un sondage réalisé en août 2000 à New York, 61 p. 100 de l'ensemble des personnes questionnées estimaient que la police faisait un bon travail, mais 42 p. 100 des Noirs et 36 p. 100 des Hispaniques disaient aussi avoir peur lorsqu'ils sont abordés par un policier. En effet, la mise en œuvre concrète de la politique de « tolérance zéro » consiste essentiellement dans l'intensification des contrôles d'identité et des fouilles pratiqués sur des personnes que les policiers jugent a priori suspectes. Par exemple, en 1998, les policiers new-yorkais ont interpellé et fouillé 27 061 personnes et ils en ont arrêté 4 647 pour des raisons diverses (port d'armes, détention de drogues, etc.). 22 414 personnes ont donc été fouillées pour rien. Et le problème est que ces personnes ne sont pas représentatives de la diversité de la population de New York. Ce sont en réalité massivement les jeunes hommes noirs et hispaniques qui font l'objet de cette présomption de dangerosité. C'est ce qu'on appelle en France le « contrôle au faciès » et le problème du « racisme professionnel » des policiers. René Lévy et Renée Zauberman soulignent que « tous les chercheurs qui ont observé de près les pratiques policières, en France comme à l'étranger, concluent à la réalité d'un discours raciste généralisé, qui constitue pour les policiers une véritable norme à laquelle il est difficile, lorsqu'on est policier de base, d'échapper et plus encore de s'opposer. Le caractère normatif de ce racisme policier en fait avant tout un élément de la culture policière, distinct du racisme ambiant ou de celui des couches sociales dont les policiers sont issus,[...]

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Écrit par

  • : sociologue, chercheur au C.N.R.S. (Cesdip), enseignant à l'université de Saint-Quentin-en-Yvelines

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Autres références

  • ENFANCE (Situation contemporaine) - Le droit de l'enfant

    • Écrit par
    • 9 311 mots
    ...notion d'insécurité, dont l'apparition est pourtant datée (1983) et politiquement connotée comme une invention de l'extrême droite ; il en est de même de la tolérance zéro, empruntée à la campagne électorale d'un maire de New York et transposée sans précaution dans un fonctionnement judiciaire français...