STOPPARD TOM (1937- )
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Après s'être essayé au genre romanesque dans Lord Malquist and Mr. Moon (1966), Tom Stoppard se tourne vers le théâtre. Son œuvre se structure autour d'une donnée commune : l'esprit, ou wit. Si ce dramaturge britannique – né le 3 juillet 1937 à Zlin, en Tchécoslovaquie, sous le nom de Thomas Straussler – est l'héritier d'Oscar Wilde et de la wittycomedy (« comédie du bel esprit »), il n'en est pas moins également un philosophe du langage théâtral. Sa lecture de Beckett, mais aussi de Wittgenstein, l'inscrit dans le sillage d'un théâtre privilégiant la polysémie et l'auto-référence : Stoppard fait jaillir un sens nouveau des textes de Shakespeare (Rosencrantz and Guildenstern Are Dead), de Beckett ou de Wilde (Travesties), comme des tableaux de Magritte ou de Marcel Duchamp (« L'Assassin menacé » dans After Magritte et « Nu descendant l'escalier » dans ArtistDescending a Staircase).
Abondante, l'œuvre de Stoppard offre à la fois des comédies métaphysiques, des comédies politiques et historiques et des farces bâties sur le nonsense. Tout se donne en spectacle : le geste, mais aussi le mot dans une célébration jubilatoire de la théâtralité, où le thème de la pièce dans la pièce vient effacer la frontière entre réalité et fiction (The Real InspectorHound, 1968 ; The Real Thing, 1982).
C'est Rosencrantz and Guildenstern Are Dead (1967) qui donne le ton. Largement inspirée par Beckett et le Pirandello de Six Personnages en quête d'auteur, la pièce, portée à l'écran par l'auteur en 1990 (lion d'or à la Mostra de Venise), est une réécriture du Hamlet de Shakespeare. Comme souvent chez Stoppard, ce sont les marges qui viennent au centre : personnages mineurs de la pièce de Shakespeare, Rosencrantz et Guildenstern tiennent ici le devant de la scène. À la manière de Vladimir et Estragon dans En attendant Godot ou des personnages de Pirandello, ils tentent d'improviser leur vie en s'insurgeant contre leur destin de personnages de théâtre. Le comique naît alors de cette incertitude existentielle.
Remarquable entre toutes est Jumpers (1972). Cette parodie de pièce policière est la satire d'une société fondée sur une idéologie unique. Son sujet se veut métaphysique : les hommes viennent de marcher sur la Lune, et nous ne sommes donc plus au centre de l'Univers créé par Dieu. Dotty en fait une dépression tandis que son mari, le philosophe George More, ramène toutes ses interrogations à celle de l'existence de Dieu. Les acrobates en costume jaune, qui passent leur temps à sauter au fond de la scène à la manière de mauvais penseurs qui rebondiraient de théorie en théorie, sont les signes théâtralisés du conformisme de pensée qui habite, entre autres institutions, l'Université, avec à sa tête Sir Archie Jumpers.
Travesties (1974), tout en s'éloignant du théâtre de l'absurde pour se rapprocher de la comedy of manners (« comédie de mœurs »), recourt à la même technique parodique. Alors que la pièce choisit comme point de départ cette ironie du sort qui fait se retrouver au même moment James Joyce, Tristan Tzara et Lénine à Zurich, Stoppard élabore, à partir de cet historique concours de circonstances, une double parodie où se superposent The Importance of Being Earnest d'Oscar Wilde et Ulysses de James Joyce.
Chez Stoppard, le politique n'existe jamais en soi. Les comédies écrites en faveur de la liberté dans les pays de l'Est sont davantage sous-tendues par la réflexion sur le langage qui les traverse que par le discours politique qu'elles véhiculent : dans Every Good Boy DeservesFavour (1977), cette réflexion passe par la théâtralisation du politique sous forme de langage musical : l'orchestre, d'abord muet puis de plus en plus présent, métaphorise la voix de la dissidence dans un hôpital psychiatrique de l'Union soviétique qui sert de cadre à la pièce. Dogg's Hamlet,Cahoots Macbeth, hommage parodique aux adaptations courtes des pièces de Shakespeare qui constituaient l'activité théâtrale clandestine de la ville de Prague occupée par l'Armée rouge, met en avant la philosophie de Wittgenstein selon laquelle un mot se comprend par son contexte.
Dans Arcadia (1993), renouant avec l'esthétique de Jumpers, Stoppard mêle énigme scientifique et énigme littéraire sur le mode d'une fausse intrigue policière. C'est également au carrefour de la comedy of manners, de la comédie sentimentale et de la réflexion philosophique et historique que Stoppard inscrit sa trilogie, The Coast of Utopia (2002). Voyage, Shipwreck et Salvage permettent de suivre le destin de l'anarchiste Bakounine et de son cercle d'amis qui compte, entre autres, l'écrivain Tourgueniev et le premier socialiste de l'histoire de la Russie, Alexandre Herzen. On passe ainsi de la Russie de 1833 au Londres de Karl Marx, en faisant un détour par le Paris de la révolution de 1848.
Aux antipodes du minimalisme, l'œuvre de Stoppard se caractérise par la surabondance des mots et des signes, dans une théâtralité exacerbée. La représentation de la réalité y fait place à la parodie de l'art lui-même.
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Écrit par
- Elisabeth ANGEL-PEREZ : agrégée, professeur de littérature anglaise (théâtre) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Autres références
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ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature
- Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ , Jacques DARRAS , Jean GATTÉGNO , Vanessa GUIGNERY , Christine JORDIS , Ann LECERCLE et Mario PRAZ
- 28 176 mots
- 30 médias
...d'avant-garde avec celle d'œuvres du répertoire élisabéthain. Du coup s'établit une véritable osmose : ce n'est pas par hasard si Stoppard et Bond, deux des auteurs les plus importants de la période de 1967 à 1978, ont écrit leurs œuvres les plus connues, Rosencrantz et Guildernstern...
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