TOMBEAU DE DU BELLAY, Michel Deguy Fiche de lecture
Publié en 1973 dans la collection Le Chemin, dirigée par Georges Lambrichs, Tombeau de Du Bellay se situe à un moment clé de la trajectoire poétique de Michel Deguy. Précédant de peu la reconnaissance d'une première époque de son œuvre, ce volume paraît en même temps qu'un ensemble anthologique (Poèmes I, 1960-1970) et associe avec un rare bonheur l'essai, les fragments autobiographiques et le poème en vers ou en prose. Dès la page des épigraphes, le « prière d'inférer » proclame avec vigueur une triple ambition, à la façon d'un traité contemporain du poète des Regrets ou d'un placard ironique : « de la question (qu'est-ce que la poésie ?) ; de la lecture (ici „Du Bellay“) ; du poème... Ceci n'est pas une étude ». Cet avertissement liminaire revendique « une anachronique de Du Bellay » qui se déploiera sous une forme critique au sens fort, puisque l'hommage et le poème inspiré ne recouvrent pas la distance maintenue, dans le temps comme dans la pensée, tandis que l'influence ou l'incidence de l'œuvre envisagée sont également soumises au questionnement poétique.
« Lisant donc et relisant Du Bellay »
Cependant le poète-interprète, traducteur de Heidegger, philosophe, enseignant et commentateur (entre autres de Thomas Mann, Marivaux, ou Derrida) est d'abord cet « auteur en poèmes » qui sait gré à Du Bellay d'avoir installé le questionnement sur le poétique au cœur de la poésie, et qui lie une méditation savante et souple sur l'allégorie, l'imitation, les sources grecques et latines d'une poétique humaniste, à la pratique du discours poétique, l'élaboration de figures articulée à la critique des métaphores et des symbolismes figés. Deguy rend grâces à Du Bellay de ceci précisément, « qu'il déchoit peu à peu de ce symbolisme, annonce un mouvement que notre modernité poétique peut seule mesurer ».
La composition du livre, précise et rythmée, désigne à son lecteur la mesure d'une imitation à distance, selon une modalité qui est celle de l'ensemble de l'œuvre de Michel Deguy, attentive plus qu'une autre à l'écart conjonctif, aux oxymores, aux paradoxes mimétiques de la modernité sans cesse renaissante. La structure est empruntée directement à la composition rhétorique du xvie siècle, et l'envoi initial (« Qui quoi ») fait écho à un final trifide (« Exorde/ex ode/exode »). Entre ces deux temps ouverts à une deuxième personne du singulier ou du pluriel (« Il y a longtemps que tu n'existes pas. [...] Vous m'aviez demandé de venir pour parler poésie avec vous... »), les trois temps du discours proprement dit, de l'oratio, allient une lecture attentive et intempestive (« Regrets ») à l'analyse de la place de la poésie et du poétique dans les discours, par un repli du temps, une traduction langue à langue (« Deffence/défenses »). La dernière partie du livre – la seule retenue dans l'édition en poche du livre en 1986 – allie méditation de la fin et « bribes abattues » en manière de toast funèbre, Terminaisons, parages, leçons de ténèbres.
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Écrit par
- Pierre VILAR : maître de conférences à l'université de Pau et des pays de l'Adour, faculté de Bayonne
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