SMITH TOMMIE (1944- )
Le document photographique le plus célèbre de l'histoire olympique est sans doute le cliché du podium du 200 mètres des Jeux de Mexico : alors que retentit l'hymne américain et que la bannière étoilée est hissée aux mâts, Tommie Smith et John Carlos lèvent un poing ganté de noir pour protester contre la discrimination dont sont victimes les Noirs aux États-Unis. Nous sommes le 16 octobre 1968 ; le lendemain, Smith et Carlos seront exclus du village olympique ; on ne reverra plus jamais Tommie Smith sur une piste d'athlétisme. Personne ne sait à quel niveau cet athlète d'exception aurait pu porter ses records.
Dernier d'une famille de douze enfants, Tommie Smith est né le 6 juin 1944 à Clarksville (Texas). Son père, ouvrier agricole, se tue à la tâche pour nourrir la tribu dans ce Sud profond marqué par la ségrégation raciale, avant de gagner la Californie. Le jeune garçon effectue une scolarité sans histoire et se fait remarquer par ses qualités athlétiques, lesquelles lui ouvrent les portes de l'université de Californie à San Jose, où il étudie la sociologie. Deux hommes vont lui permettre de forger son destin : Bud Winter, entraîneur d'athlétisme, et Harry Edwards, professeur de sociologie. Bud Winter est alors le « coach » le plus renommé des États-Unis en ce qui concerne le sprint et façonne ses élèves à la manière d'un artisan. Il sent rapidement qu'il tient avec Tommie Smith une pépite, et il se prend d'une réelle affection pour ce garçon indolent et nonchalant, qu'il convient de ne pas brusquer à l'entraînement. Avec Bud Winter, Tommie Smith, athlète longiligne (1,91 m, 80 kg), améliore en douceur sa technique de course, fondée sur un relâchement inhabituel pour un sprinter ; il progresse et aligne les grandes performances aussi bien sur 200 mètres que sur 400 mètres. Le 7 mai 1966, il établit son premier record du monde : il couvre le 220 yards (201,08 m) en ligne droite en 19,5 secondes. Si cette épreuve ne dit pas grand-chose aux Européens, la performance marque les esprits outre-Atlantique : Smith retranche d'un coup une demi-seconde à un record qui n'avait été amélioré que de 3 dixièmes de seconde en un quart de siècle depuis que Jesse Owens avait réussi 20,3 secondes en 1935. Quelques jours plus tard, il court le 220 yards en 20 secondes, effaçant le record de son compatriote Henry Carr (20,2 s). Mais Smith excelle aussi sur 400 mètres : en juillet 1966, avec Bob Frey, Lee Evans et Theron Lewis, il devient recordman du monde du relais 4 fois 400 mètres (2 min 59,6 s) ; le 20 mai 1967, il bat dans la même course les records du monde du 400 mètres (44,5 s) et du 440 yards (44,8 s). Toujours en 1967, Tommie Smith remporte le 200 mètres à l'Universiade de Tōkyō.
Les jeux Olympiques de Mexico deviennent l'objectif majeur de Tommie Smith. Cependant, pour lui, l'approche de cet événement est double : il souhaite bien sûr remporter une médaille d'or, mais aussi faire entendre sa voix sur le plan politique. À l'université de Californie, il s'est forgé une conscience politique au contact d'Harry Edwards et il milite au sein de la Black Students Union. Les réunions entre athlètes noirs américains se multiplient, le boycottage des Jeux de Mexico est un moment envisagé, l'Olympic Project for Human Rights (« Projet olympique pour les droits de l'homme »), initié par Harry Edwards, prend de l'ampleur. Côté sportif, Tommie Smith, dont la fine musculature est fragile, choisit de ne pas tenter de courir à la fois le 200 mètres et le 400 mètres à Mexico, et se concentre sur le 200 mètres : il obtient sa sélection lors des épreuves qualificatives américaines, mais il est devancé par son ami John Carlos, qui court la distance en 19,7 s (chronométrage manuel), un temps qui n'est pas homologué comme le record du monde car il chaussait des pointes non réglementaires.[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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