MORRISON TONI (1931-2019)
Toni Morrison, de son premier nom Chloe Ardelia Wofford, est née le 18 février 1931 à Lorain, Ohio. Romancière, elle a apporté, avec des romans comme La Chanson de Salomon ou Beloved, un ton nouveau à la littérature afro-américaine. Après des études aux universités Howard et Cornell, elle enseigne dans la section d'anglais de la Texas Southern University, puis à Howard. Entrée aux éditions Random House, elle est bientôt promue senior editor et, jusqu'en 1984, sera responsable de la publication de plusieurs auteurs afro-américains. Elle collabore aussi à la préparation de The Black Book : A Scrapbook of 300 Years of the Folk Journey of Black America(1974).
Entre mémoire et oubli
En 1970 paraît le premier roman de Toni Morrison, The Bluest Eye (L'Œil le plus bleu). Dans cet itinéraire frustrant d'une fillette, les rapports familiaux sont inaccomplis et tragiques : le désir déçu de Pecola, privée d'amour maternel et violée par son père, s'asservit au regard des Blancs et la conduit au dédoublement de personnalité. Sula paraît en 1973. À partir des différences entre les codes que chacun se donne et des transgressions qui y sont apportées, le roman montre la gloire et l'échec de l'individualisme et pose de multiples questions sur les rapports entre individu et communauté, entre hommes et femmes.
Conférencière à l'université Yale, Morrison voit Song of Solomon (La Chanson de Salomon) couronné par le National Book Critics Circle en 1977. Elle reçoit aussi le prix de l'Académie américaine et celui de l'Institut des arts et des lettres. La Chanson de Salomon a recours au réalisme magique pour explorer les origines africaines quasi effacées et la quête de soi d'un adolescent à qui sa tante, Pilate, sert de guide. Jadine, l'héroïne instruite et splendide de Tar Baby (1981) souffre elle aussi du déchirement dû à ses racines culturelles, partagée qu'elle est entre l'attrait de l'Europe et la persistance mythique de l'Afrique. Dans le corps féminin s'inscrivent souvent une irréductible différence – exprimée par un stigmate (l'absence de nombril chez Pilate) et une volonté de résistance. Le corps est le lieu – le « texte » – où il convient de lire de multiples symboles.
Toni Morrison obtient en 1984 une chaire à l'université de l'État de New York, à Albany, et quitte Random House. En 1985, sa pièce DreamingEmmett est montée à New York...
En 1987, Beloved obtient le prix Pulitzer pour la fiction. Ce livre essaie de restituer l'histoire afro-américaine dans une dialectique complexe de la mémoire et de l'oubli, établissant un dialogue avec la tradition des récits d'esclaves et montrant la transformation de l'image de la plantation. Le fantôme de Beloved, que sa mère a tuée par excès d'amour, revient solliciter l'affection de celle-ci et la complicité de sa sœur. Si l'amour est le chant qui traverse l'œuvre de Morrison – amour de « son peuple », foi en sa capacité d'aimer –, elle tente avant tout de rompre avec la culture du silence. Les révélations sont nombreuses dans une œuvre où le lecteur est invité à aller de l'observation extérieure à la compréhension intime. Ainsi seulement peut être perçue la complexité des situations et des actes (le meurtre de l'enfant par la mère, le viol de la fille par le père). Les résonances poétiques aident à suspendre le jugement et suggèrent une nouvelle éthique. D'autres rites doivent être inventés : ceux d'une écriture qui se veut médiation entre l'oralité et l'écrit. Toni Morrison croit à la puissance de la transgression du verbe pour réaliser une révolution. Elle affirme également son « refus de toute domination dans la narration par l'éclatement de la voix du narrateur » (Entretien avec Pierre Bourdieu, [...]
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Écrit par
- Michel FABRE : professeur émérite
- Claudine RAYNAUD : professeure des Universités
Classification
Média
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