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TŌRAH

La Tōrah et la critique moderne

L'ouverture des juifs à la culture occidentale et leur progressive émancipation provoquèrent chez les penseurs juifs une nouvelle attitude à l'égard de la Tōrah. Spinoza fut, à travers son Tractatus theologico-politicus (1670), l'un des fondateurs de la critique biblique. Le philosophe d'Amsterdam ne vit plus dans la Tōrah qu'un pur traité politique destiné à l'État des Hébreux sans qu'il pût encore être question d'une révélation historique. Moïse Mendelssohn (1729-1786), marqué par le rationalisme des Lumières, soutint que la Tōrah n'est pas une religion révélée – car les vérités rationnelles doivent avoir été mises à la disposition de tout homme –, mais seulement une législation révélée à l'intention du peuple juif promu au rôle de gardien des vérités religieuses fondamentales au milieu d'une humanité où règne toujours la possibilité d'une dénaturation de ces vérités.

La coupure épistémologique avec l'approche traditionnelle des textes bibliques, telle qu'elle se pratiquait comme œuvre pieuse dans les maisons d'étude et les Yešivōt (académies talmudiques), est sciemment effectuée par les tenants de la science du judaïsme groupés autour de L.  Zunz (1794-1886) ; pour ceux-ci, le judaïsme doit faire l'objet d'études objectives et critiques, débarrassées de tout ethnocentrisme, au même titre que n'importe quel objet des sciences de la culture. Dans leur sillage, N.  Krochmal et S. D.  Luzzatto, avec certaines réserves chez ce dernier, appliquent les méthodes de la critique historique aux textes hébraïques. La nouvelle approche se répercute, bien entendu, au niveau des idéologies de l'époque. Cependant que le mouvement réformateur, avec A. Geiger et S. Holdheim, justifie sa volonté de réformer le judaïsme dans l'esprit du prophétismeéthique, en se fondant sur les résultats de la méthode historique et l'attachement à l'idée de progrès, la néo-orthodoxie de S. R. Hirsch refuse a priori d'admettre que les textes bibliques puissent entrer dans le champ d'investigation des sciences de l'homme et demeure attachée au dogme de l'inspiration littérale.

Le problème se pose différemment aujourd'hui à la fois en raison des progrès de la science historique et d'un approfondissement très sensible de la réflexion théologique. Sur le plan proprement scientifique, la théorie documentaire, malgré les critiques dont elle a fait l'objet, particulièrement de la part de U. Cassuto et de Y. Kaufmann, semble être pour la quasi-unanimité des biblistes le point de départ obligé de toute investigation en ce domaine. Mais le repérage des strates ne préjuge nullement, contrairement à ce que postulait l'hypothèse de Graf et Wellhausen, de l'ancienneté des traditions orales qui s'y trouvent recueillies. Les découvertes des civilisations cunéiformes et égyptiennes, de leurs lois, traités, récits et monuments, ainsi que les recherches archéologiques pratiquées en Palestine même ont permis de placer les récits bibliques sous un nouvel éclairage. La vie, les institutions, la religion d'Israël se sont trouvées solidement insérées dans l'histoire du Proche-Orient ancien. Du même coup est mieux apparue l'originalité de la Tōrah, témoignage vivant de la fidélité d'Israël au Dieu des Patriarches au cours de toutes les pérégrinations du peuple dans le désert d'abord, puis de son séjour en Terre sainte, et de l'Exil. Comme l'ont fait ressortir M. Weber et A. Neher, les stipulations de la Běrith ont conféré son caractère unique à la société hébraïque, où n'a cessé de faire irruption le charisme prophétique.

Si l'orthodoxie juive institutionnalisée reste attachée au fondamentalisme, beaucoup de[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités, directeur du département d'études hébraïques et juives de l'université de Strasbourg-II, professeur associé à l'Université libre de Bruxelles

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Médias

Torah médiévale, enluminure - crédits : J. Asarfati/  Bridgeman Images

Torah médiévale, enluminure

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