TORIYAMA AKIRA (1955-2024)
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Le mangaka japonais Akira Toriyama s'est fait connaître avec la publication de Dragon Ball, en 1993, par Glénat. Dans le sillage de la diffusion, dès 1988, du dessin animé adapté de ce manga, cette parution coïncide avec l’essor fulgurant de la bande dessinée japonaise en France et en Europe. Depuis, le shōnen (manga destiné aux garçons), véritable triomphe commercial, n’a cessé d’être réimprimé et proposé dans de nouvelles éditions, avec quelque 260 millions d’exemplaires écoulés dans le monde, à la mort de l’auteur.
Si Dragon Ball bénéficie d’une renommée internationale, son dessinateur a su préserver sa vie privée en fuyant les médias. Né le 5 avril 1955 à Kiyosu, près de Nagoya (Japon), Akira Toriyama grandit dans une famille conservatrice. Il vit entouré de chiens, de chats et d’oiseaux, dont il chérit la compagnie. Ses futures œuvres feront d'ailleurs la part belle aux animaux et créatures anthropomorphes, mais aussi aux paysages ruraux, lui qui a toujours refusé de déménager à Tōkyō, où sont pourtant installées les grandes maisons d’édition japonaises.
Amateur des premiers films de Walt Disney comme de la science-fiction hollywoodienne, lecteur d’Osamu Tezuka (1928-1989), l’un des fondateurs du manga moderne, Toriyama ne se passionne pas néanmoins pour la bande dessinée, dans un premier temps. Confiant en ses capacités artistiques, il cherche à devenir illustrateur à sa sortie du lycée. Après une première expérience dans une agence de publicité régionale, le jeune homme doit se rendre à l’évidence : il s’ennuie et démissionne. Parce qu’il faut bien gagner sa vie, il décide d’envoyer des planches au magazine Weekly Shōnen Jump, qui en rejettera cinq cents en l’espace d’une année. Quelle meilleure incarnation de l’esprit de persévérance, si cher aux mangas d’action pour adolescents, dont il sera bientôt le porte-étendard ?
Celui qui donnera sa chance à Akira Toriyama se nomme Kazuhiko Torishima. Cet éditeur du Jump publie la première histoire courte du jeune mangaka,Wonder Island, ainsi que Dr Slump, sa première série (1980-1984, 18 tomes). Ce manga humoristique loufoque, volontiers scatophile, raconte le quotidien d’un scientifique et de son androïde, Aralé, scolarisée dans un village peuplé de personnages délirants. L’auteur joue avec les cases et les phylactères, brise sans cesse le quatrième mur et n’hésite pas à se mettre en scène personnellement. Tout en rondeur mais extrêmement précis, son dessin impressionne déjà, notamment dans l’exercice de la caricature et dans la description de certains objets fétiches (véhicules, armes…). Immense succès populaire au Japon avec de nombreux produits dérivés, Dr Slump fait de Toriyama un millionnaire à seulement vingt-cinq ans.
La seconde série de l’auteur n’est autre que Dragon Ball (1984-1995, 42 tomes). Puisant des éléments au roman chinois du xvie siècle Le Voyage en Occidentde Wu Cheng'en comme à l’Histoire des huit chiens de Satomi deKyokutei Bakin (1767-1848), cette saga suit les aventures de Son Gokū, un jovial adolescent affublé d’une queue de singe et décidé à devenir le plus puissant combattant du monde. Le public n’adhère pas immédiatement à la formule du « road manga », qui évoluera vers davantage de combats dramatiques grâce aux conseils de Torishima. C’est d’ailleurs à ce dernier que l’on doit la fameuse technique de combat nommée « Kamé Hamé Ha », le dragon Shenron et, surtout, le grand tournoi d’arts martiaux, dont les rebondissements séduiront un immense lectorat.
Quand Toriyama décide de faire vieillir ses héros de cinq ans à la faveur d’une ellipse, l’équipe éditoriale panique, effrayée à l’idée de nuire au sentiment d'identification des jeunes lecteurs du Jump. Mais l’auteur parvient à imposer son point de vue et intègre alors des éléments de science-fiction inattendus, renforçant progressivement le souffle épique et le sens du tragique de son manga, sans totalement abandonner sa fibre comique. Le dessin animé dérivé du manga, diffusé en France dans le « Club Dorothée » de TF1, fait polémique du fait de sa violence, dénoncée notamment par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). « Ce que les médias généralistes ont longtemps raté, c’est que Dragon Ball [est] vraiment une mythologie moderne, comparable à Star Wars en termes de longévité, de fans et de produits dérivés », assure Olivier Richard, auteur d’une biographie de Toriyama.
Épuisé après dix ans de travail acharné sur Dragon Ball – dont un chapitre est publié, rappelons-le, chaque semaine dans le Jump –, période durant laquelle le mangaka dessine aussi les personnages des jeux vidéo Dragon Quest et Chrono Trigger, Akira Toriyama ne se lancera dans aucune nouvelle série, préférant les histoires courtes ou les travaux d’illustration. L’univers de sa saga continue pourtant de s'étendre, avec de nombreuses adaptations au cinéma et en jeux vidéo, sans oublier un nouveau manga feuilletonnant, Dragon Ball Super, dessiné par Toyotarō.
Akira Toriyama, qui a reçu le prix spécial du 40e anniversaire du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD) en 2013, est mort le 1er mars 2024, à Kyosu. « C’est grâce à lui qu’on est passé d’une époque où on disait du manga qu’il rendait les lecteurs idiots, à une ère où petits et grands savourent cette lecture », lui rend hommage Eiichirō Oda, dont le manga One Piece, lancé en 1997 dans le même Weekly Shōnen Jump, a depuis détrôné commercialement Dragon Ball.
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Écrit par
- Arthur BAYON : master professionnel de journalisme à l'École de journalisme de Grenoble, journaliste au Figaro
Classification
Média
Autres références
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MANGA
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