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TORTURE

Un traité de police judiciaire datant de 1951 et conçu à l'usage des commissaires et officiers de police conseillait : « Il existe un degré inférieur de torture qui ne tombe pas sous le coup de la loi, qui ne vicie même pas la procédure et qui aide grandement l'officier de police dans son interrogatoire du criminel : n'est-ce pas une forme de torture que l'interrogatoire qui se prolonge des heures et des heures et où les policiers se relaient jusque dans la nuit pour profiter de l'épuisement de leur adversaire, finalement acculé au vertige mental d'où procède l'aveu ? [...] Torture encore pourtant nullement prohibée que d'avoir à demeurer assis sur une chaise un jour entier, puis une nuit, et davantage encore. » Il y aurait ainsi une torture « inférieure », qui ne serait nullement illégale, qui n'altérerait jamais l'expression de la vérité, mais qui tiendrait pourtant à la manipulation mentale.

À l'opposé, il y aurait une torture totale exclusivement justifiée par la défense de vies innocentes ; elle serait la réponse obligée, donc « juste », au scénario classiquement évoqué du terroriste qui a caché dans New York une bombe capable de faire sauter la ville et qui est tombé aux mains des policiers peu avant l'heure connue de l'explosion. La justification de la torture est ici pratique (elle a un but clairement défini et totalement moral) et politique : le terroriste s'est sciemment et volontairement placé en dehors des normes de la société qu'il combat ; les lois de celle-ci ne lui sont donc plus applicables et il ne peut se plaindre de ce que cette société, qu'il cherche à détruire, le détruise pour se sauver.

Torture acceptable ; torture obligée : le discours qui tend à justifier la torture oscille entre ces deux exemples, entre ces deux attitudes rationnelles, responsables et que ne marque nulle tendance sadique.

Dans les deux aspects de cette violence nécessaire et contrôlée un même objet non moins violemment désiré : l'aveu. La violence a pour objet le savoir. Et, pour l'obtenir, il faut en passer par le « vertige mental » de l'autre. C'est donc ce vertige qu'il faut analyser pour comprendre la torture, si faire se peut. Mais à ce vertige du supplicié s'oppose un autre vertige : celui, immédiat et, semble-t-il, innocent, qui nous prend à évoquer l'agir du tortionnaire et le soupir du torturé. Rien ne peut nous faire comprendre cette douleur, cette violence ; et le cœur nous tourne. Mais aucun aveu ne nous vient aux lèvres excepté celui qui, d'écœurement, nous fait redécouvrir la loi du talion : « Il faudrait leur en faire autant. » Là seulement nous soupçonnons, un instant, l'aspect circulaire de la torture. C'est ce cercle qu'il faudrait parvenir à rompre.

La torture antique

La tradition législative romaine ne pouvait pas ne pas se pencher sur cet individu si particulier qu'est l'esclave. Produit des guerres, mais parfois de véritables razzias destinées à fournir de la main-d'œuvre à l'agriculture, objet que l'on achète et que l'on vend, l'esclave n'a aucune existence juridique, excepté s'il est volé ou s'il disparaît. Aussi ne peut-il être cité à titre de témoin dans un procès, puisque la loi romaine requiert le serment d'un homme libre. La seule valeur probante des dires d'un esclave ne peut résulter que de l'emploi de la « question » prescrite par le tribunal. Parallèlement à cette torture, dont l'enjeu « légal » est la manifestation de la vérité, l'esclave est passible de nombreuses formes de tortures primitives (le plus souvent confiées à un esclave public, le carnifex, la fonction étant infamante pour un citoyen romain). Ainsi la torture romaine, au temps de la royauté et de la République,[...]

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Supplice de l'estrapade - crédits : Historical Picture Archive/ Corbis/ Getty Images

Supplice de l'estrapade

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