TORTURE
Torture et conflit
Le nazisme n'accordait aux juifs aucun droit civil : la torture du juif était, sous cet aspect, proche de la torture infligée à l'esclave romain. La justification – ou l'absence de besoin de justification – était, au regard des nazis, de droit. La torture moderne se justifie par les mêmes voies que dans l'Antiquité ; l'homme que l'on torture n'est jamais totalement homme : déviant, juif, antisoviétique, terroriste, islamiste, il est en dehors de la société, et cette exclusion suffit à légitimer ou, du moins, à expliquer son supplice. Sergio Fleury, maître tortionnaire brésilien des années 1960, répond à sa façon sur le même ton à une lettre accusatrice de l'Association des chrétiens contre la torture ; dans son post-scriptum, il écrit : « Je dois vous avouer que je ne crois pas que nous soyons de la même race humaine (je veux parler de la race des Hommes). »
Le refus de reconnaître sa responsabilité, qui est le trait majeur du discours du tortionnaire, est la conséquence de cette attitude ; de plus, celle-ci dépersonnalise le bourreau comme la victime, de sorte qu'aucune responsabilité n'apparaîtra en fin de compte (au mieux, il ne restera que de l'information). Si la torture peut être dite « blanche », c'est moins parce qu'elle peut être « médicale » ou « psychiatrique » et ne laisser aucune trace physique horrible que parce qu'elle est toujours la sanction externe d'une amputation volontaire de la société par elle-même. Si certains officiers SS étaient capables de torturer sauvagement leurs proies tout en étant des maris et des pères exemplaires, c'est qu'une exclusion radicale marquait celles-ci à leurs yeux. Les « crimes contre l'État soviétique » sont de la même nature.
Le monde contemporain est marqué par une sorte de généralisation des conflits : il ne s'agit plus nécessairement de guerres à proprement parler, mais d'oppositions, de subversions, de révolutions, d'actes de terrorisme. Or l'une des raisons les plus fréquemment invoquées pour justifier la pratique de la torture est la situation de guerre ; pourtant, les quatre conventions de Genève signées le 12 août 1949 interdisent « toute contrainte physique ou morale visant à arracher des aveux, ou obtenir contre la volonté une collaboration ». On sait ce qu'il en fut, ou en est, de la pratique des États signataires, la guerre d'Algérie, par exemple, ayant à ce sujet péniblement marqué les Français. Ajoutons que la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 a interdit tout emploi de la torture dans les cas d'instabilité politique intérieure ou lors de tout autre état d'exception.
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Écrit par
- Olivier JUILLIARD : écrivain
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