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TOTALITARISME

Longtemps, la notion de totalitarisme a été associée à la période de la guerre froide et appliquée au « bloc de l'Est », essentiellement à l'U.R.S.S. Plus récemment, son usage est devenu plus comparatiste pour désigner une forme de pouvoir entièrement nouvelle, absolue, ayant pour principale caractéristique de tendre à la dissolution de la frontière entre l'État et la société, ce qui la distingue ainsi radicalement d'un système libéral. De fait, le totalitarisme, phénomène associé au fascisme italien, au national-socialisme et au stalinisme, est intimement lié au siècle écoulé. En tant qu'objet, il est ainsi le produit des événements historiques de ce « court xxe siècle » qu'Eric Hobsbawm fait aller de 1914 à 1991. La notion, elle, suit une généalogie tortueuse. Ainsi, son sens, ses usages et ses fonctions sont multiples et changeants, comme l'illustre le recueil de textes publié par Enzo Traverso (Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat, 2001). De même, son statut épistémologique est équivoque, entre catégorie analytique et outil du combat politique. Pour une bonne compréhension, il est donc nécessaire d'historiciser autant le terme que les phénomènes historiques qu'il décrit.

Du phénomène au concept

Il faut imputer à la Première Guerre mondiale l'origine du phénomène. Les ruptures dues à la violence et au caractère « total » du conflit militaire, le génocide des Arméniens, l'irruption des masses dans la politique et la polarisation radicale qui s'ensuit déstabilisent profondément les sociétés européennes. En Russie, en Italie et en Allemagne, des partis de masse aux programmes inconciliables avec le libéralisme prennent le pouvoir. Ce dernier caractère les rapproche, même si leurs objectifs sont opposés : révolution socialiste dans un cas, portée par le mouvement ouvrier, contre-révolutions au caractère plus ou moins antisémite et racial dans l'autre, qui veut au contraire prévenir la montée ouvrière et remettre en cause les acquis démocratiques des Lumières. C'est au fascisme qu'est d'abord attribué, dès 1923, le qualificatif de « totalitaire » par ses opposants qui voient en lui une forme moderne de tyrannie. Or le terme fait presque immédiatement l'objet d'une appropriation par Mussolini lui-même, puis par le philosophe officiel Giovanni Gentile, pour définir le nouveau rapport entre État, société et individu, et souligner la « féroce volonté » du régime de tout soumettre au pouvoir de l'État. En Allemagne, où s'élabore une conception de l'« État total » (Carl Schmitt), les dirigeants nazis réfutent en revanche une désignation non fondée sur la référence au peuple et à la race.

Dans les années 1930, le concept prend peu à peu forme. On en trouve les prémices chez le philosophe allemand Herbert Marcuse qui parle du national-socialisme comme d'un État total autoritaire. Ou encore chez Victor Serge qui, dans une lettre de 1933, parvient à la conclusion que l'U.R.S.S. est un « État totalitaire, castocratique, absolu, grisé de puissance, pour lequel l'homme ne compte pas ». C'est dans les « bagages des émigrés » (Alfons Söllner) que l'idée circule. Ceux-ci, souvent d'origine juive et directement concernés par les persécutions du nazisme, puis parfois du stalinisme, sont amenés à s'interroger sur ces systèmes d'un genre nouveau. Mais, avant guerre, il n'y a pas encore de théorie aboutie ou de comparaison systématique des régimes totalitaires. Concernant ces derniers, Raymond Aron limite ainsi son étude à l'Allemagne et à l'Italie (États démocratiques, États totalitaires, 1939). Diverses interprétations du fascisme, du national-socialisme et du communisme soviétique coexistent d'ailleurs à l'époque. Nombreux sont[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire contemporaine, université de Berne

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