Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TOTALITÉ

Totalité sans réalité

La remontée vers la totalité ultime, monde ou être absolu, admet des différences, même dans son formalisme. La totalité des individus appartenant au même genre diffère de la totalité des hommes appartenant à une nation, laquelle diffère, à son tour, de la totalité des épisodes constituant une histoire, de celle des points constituant un espace, ou des membres constituant un organisme, ou des mots constituant une langue. Kant bâtit l'idée de totalité en partant du rapport du conditionnement, qui est inscrit dans les catégories de la relationexposées dans la « Logique transcendantale », et dans lequel se tient tout donné intuitif en tant que donné, en tant que se présentant dans l'expérience à l'entendement scientifique. La science recherche la condition du donné, mais ne trouve que des conditions conditionnées. Elles suffisent à l'entendement des faits et à l'établissement des lois. Elles ne satisfont pas la raison, qui exige la synthèse régressive de toute la série des conditions jusqu'à l'inconditionnel. La raison est cette exigence même. Elle prescrit à l'entendement d'embrasser toutes les actions de l'entendement « en un Tout absolu », en pensant les idées du monde et de Dieu. Visées diverses de la totalité malgré le formalisme de la totalisation, les idées du monde et de Dieu dépassent le donné sensible. Kant montre que, dans la mesure où elles le dépassent, elles restent des idées qui n'expriment aucun être. Dès qu'on leur prête une portée ontologique, elles opposent la raison à elle-même (antinomies) ou la font déraisonner. Dans les idées de totalité, la raison perd ainsi sa valeur cognitive. Sa prétention de savoir serait illusoire. En accord avec la tradition rationaliste de l'Occident, l'idée de totalité coïncide encore ici avec l'idéal de l'intelligibilité intégrale. Elle reste donc illusion nécessaire et exerce une fonction régulatrice dans le savoir scientifique. Mais un écart sépare désormais raison et vérité. Kant met en question la signification ontologique de la raison. Donné, l'être est partie, il n'est jamais tout, alors que la pensée ne peut porter sur l'être qu'en portant sur le donné. Une réalité correspondant à la totalité n'est pas impensable. Elle est ignorée.

Découvrant une rationalité au niveau du sensible et du fini, contre la rationalité démesurée de l'Idée platonicienne, retrouvant l'intelligibilité aristotélicienne inhérente aux choses (qui s'exprime dans la doctrine kantienne du schématisme où les concepts de l'entendement s'exposent dans le temps), le criticisme kantien ébranle fortement l'idée de totalité. Désormais le partiel peut avoir un sens sans la réalité du Tout et l'apparaître peut ne plus dépendre de la rationalité logique. L'absolu ne se prêtant pas à la totalisation, on peut se demander si l'intelligibilité se réduit à la compréhension, à l'enveloppement sans résidu. Mais on doit se demander aussi si la notion de l'être ne doit pas être repensée en fonction de l'idée de totalité.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

    • Écrit par
    • 7 899 mots
    • 1 média
    ...concevoir une actualité de la philosophie ? La réponse n'est pas douteuse : la philosophie ne peut connaître une actualité que pour autant qu'elle abandonne son objet propre, à savoir la connaissance de la totalité de ce qui est. L'adéquation de la pensée à l'être en tant que totalité s'est décomposée. Qu'il...
  • ANAXAGORE (env. 500-428 av. J.-C.)

    • Écrit par et
    • 1 859 mots
    • 1 média
    ...indifférencié ; cette difficulté avait amené Anaximandre à introduire, dans l'apeiron, un principe producteur, gónimon. D'après Anaxagore, chaque chose est en rapport avec toutes les autres choses ; « tout est mêlé dans tout » (Aristote, Physique, 187 b, 1) ; « il y a dans tout une...
  • COMTE AUGUSTE (1798-1857)

    • Écrit par
    • 9 502 mots
    • 1 média

    En ouvrant la conclusion totale du Système de politique positive, Auguste Comte distingue dans sa vie intellectuelle deux carrières. Dans la première, qui correspond à peu près à l'élaboration du Cours de philosophie positive, il s'est efforcé de transformer la science en philosophie. Dans...

  • CRÉATION - La création dans les synthèses philosophico-religieuses

    • Écrit par
    • 4 061 mots
    ...concrètement l'ensemble ordonné des êtres qui remplissent cet intervalle d'univers, on dira de préférence que le monde est le terme immédiat de la Création. Dans les deux cas, la Création porte sur le tout. En ce sens, l'action créatrice est pensée comme « totalisante », soit qu'on estime impossible la position...
  • Afficher les 24 références