TOTEM ET TOTÉMISME
Le mot « totem » provient de la langue ojibwa, une des langues algonquines de l'Amérique du Nord, où il précise une relation de parenté entre germains et désigne, plus généralement, le clan ou groupe exogame. Pour les Ojibwa, en effet, il existe une relation métaphorique entre chacun des clans patrilinéaires et patrilocaux et un animal totémique. Mais, en plus de cette relation entre un groupe de parenté et un animal, les Ojibwa connaissent des esprits gardiens individuels, un animal devenant le protecteur attitré de telle personne. Il convient donc de distinguer entre la relation collective et la relation individuelle, comme entre deux systèmes ordonnés différemment. De tels faits ethnographiques amènent Lévi-Strauss à reconnaître quatre façons d'associer deux séries, l'une naturelle, l'autre culturelle, et chacune selon deux modes d'existence individuel ou collectif. On peut ainsi discerner quatre combinaisons possibles, toutes attestées dans la littérature : le totémisme « social » australien suppose une relation entre une espèce naturelle et un groupe de parenté ; dans le totémisme individuel des Indiens d'Amérique du Nord, chaque individu cherche les faveurs surnaturelles d'une espèce animale ; la troisième possibilité instaure une relation entre un individu animal ou végétal et une personne particulière, comme aux îles Banks ; enfin, la dernière combinaison possible entre un animal particulier, porteur d'un nom propre, et un groupe social de parenté est fréquente en Polynésie et en Mélanésie ; on trouve ainsi des requins, des crocodiles, des lézards et des serpents gardiens de la sécurité et de la prospérité de telle ou telle communauté humaine. De ces quatre formes de totémisme, les deux premières surtout ont été reconnues pour « totémiques », les deux dernières beaucoup plus rarement, bien qu'elles relèvent du même problème.
Tentative de définition du concept de totémisme
Dans ses articles sur le culte des animaux et des plantes, publiés en 1869, John F. McLennan, cherchant à définir le totémisme, pensait qu'il était caractérisé par la présence simultanée du fétichisme, de l'exogamie et de la filiation matrilinéaire. Mais il fallut attendre 1910 pour lire sous la plume de Frazer la totalité des faits ethnographiques rassemblés dans les quatre volumes de son ouvrage Totemism and Exogamy. Frazer, qui était convaincu de l'absurdité des croyances primitives, avait pourtant l'ambition d'en donner le système complet et d'en expliquer l'origine. Ainsi le totémisme devenait-il une institution spécifique des croyances primitives et s'opposait utilement à la fois à la pensée religieuse, comme le voulait William Robertson Smith, et à la pensée rationnelle et scientifique dont Frazer se croyait le porte-parole. Le totémisme ainsi conçu permettait de rassembler dans un même système réputé primitif des croyances très diverses, mais qu'il fallait à tout prix rejeter du domaine de la pensée « civilisée » en les considérant comme tout au plus des survivances d'un passé archaïque. L'invention du totémisme venait à point nommé rejeter les systèmes de pensée des peuples sans écriture dans l'enfance d'une humanité dont la seule expression adulte était sans conteste la « civilisation » du xixe siècle, blanche et européenne.
Pourtant, dès son « invention », le totémisme dut affronter en 1910 la critique d'Alexander A. Goldenweiser qui trouvait peu scientifique que l'on amalgamât en une même institution trois phénomènes bien distincts : l'organisation clanique, la dénomination des clans par des noms de plantes ou d'animaux, enfin la croyance en une parenté entre le totem et les membres du clan. Rares étaient en effet les cas où l'on pouvait observer ces trois phénomènes réunis. D'autre part, chacun d'entre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Daniel de COPPET : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Média
Autres références
-
ABORIGÈNES AUSTRALIENS
- Écrit par Barbara GLOWCZEWSKI
- 7 150 mots
- 5 médias
Chaque Aborigène est gardien de certains itinéraires mythiques associés à des lieux et des totems et célébrés par des rites où les mythes sont peints, chantés et dansés. C'est au nom de ces attaches sacrées que les sites doivent être protégés et que le corps de chaque individu doit être peint avec... -
ANTHROPOLOGIE ET ONTOLOGIE
- Écrit par Frédéric KECK
- 1 255 mots
Si l’anthropologie s’est définie contre la métaphysique classique en remplaçant un discours sur Dieu comme fondement de toutes choses par un discours sur l’homme comme sujet et objet de connaissance (Foucault, 1966), elle a renoué depuis les années 1980 avec l’ontologie, définie comme un...
-
BANQUET RITUEL
- Écrit par Henry DUMÉRY
- 392 mots
-
CLAN
- Écrit par Jacques MAQUET
- 3 074 mots
- 1 média
...clan ne peuvent retracer, génération par génération, leur ascendance à l'ancêtre clanique, comment se reconnaissent-ils ? Par le nom, le blason et le totem, affirmait Marcel Mauss, en 1937. Et par totémisme, il entendait « la croyance à une descendance commune de l'homme et d'une espèce déterminée d'animaux... - Afficher les 27 références