TOTEM ET TOTÉMISME
Le totémisme australien
Si l'homme a mis le pied sur le continent australien il y a plus de huit mille ans, il y a tout lieu de penser que les sociétés australiennes ont vécu dans un isolement relatif, ce qui explique sans doute que l'on puisse dégager, malgré toutes leurs différences, un type australien d' organisation sociale et religieuse. Aussi les auteurs ont-ils été tentés d'avancer une explication générale valable pour l'ensemble des sociétés australiennes. Si l'on s'en tient aux critères exclusivement sociologiques, il est permis cependant de déceler dans la distribution des systèmes sociaux à travers le continent australien plusieurs modalités différentes. Tout d'abord les sociétés situées à la périphérie et qui ne présentent pas de « classes » matrimoniales où l'on soit contraint de choisir son conjoint. Puis, dans le Sud, les sociétés à moitié matrilinéaires, dans le Nord celles à moitié patrilinéaires dotées de sections et de sous-sections. Enfin, dans les régions désertiques, on rencontre les systèmes à quatre sections, la région centrale manifestant des organisations à huit sous-sections. Ces systèmes à classes et à sections matrimoniales réglementent de façon plus ou moins complexe l' exogamie ; celle-ci, affirme Van Gennep, « a pour résultat et probablement pour but de relier entre elles certaines sociétés spéciales [...]. L'institution [...] sert donc au renforcement de la cohésion, non pas tant des membres du clan entre eux que des divers clans vis-à-vis de la société générale. » C'est en se fondant sur les faits de l'organisation sociale que Lévi-Strauss a pu élaborer une typologie générale des systèmes australiens.
Pourtant, d'autres auteurs, et notamment A. P. Elkin, ont cherché à interpréter les faits australiens à partir des croyances totémiques. C'était d'une nouvelle façon reprendre les théories de McLennan, de Smith et de Frazer, pour qui le totémisme, phénomène premier, expliquait l'apparition de la règle d'exogamie. Loin d'éclairer le débat, les travaux d'Elkin montrent l'extraordinaire hétérogénéité du « totémisme » des aborigènes australiens. Il convient en effet de distinguer le totémisme individuel qui établit une relation privilégiée entre le sorcier et une espèce animale, le totémisme sexuel où un animal sert d'emblème au groupe formé par tous les hommes ou toutes les femmes d'une même société, le totémisme de groupe matrimonial (moitié, section, sous-section, clan) où l'affiliation totémique correspond aux règles du mariage, le totémisme plus spécialement religieux qui attribue, soit en filiation patrilinéaire, soit selon le lieu où l'enfant est supposé avoir été conçu, des sites totémiques, enfin un totémisme attribué par le rêve que fait la mère aux tout premiers jours de la conception. Au lieu de trouver dans le totémisme un mode d'explication des sociétés australiennes et de leurs systèmes religieux, Elkin se voit donc contraint de morceler l'« institution totémique » en une grande quantité de variantes et comme autant d'espèces distinctes.
Pour plus de clarté, il convient d'abord de distinguer deux phénomènes : le premier consiste à identifier des hommes à des plantes ou à des animaux, le second attribue des noms aux différents groupes de parenté d'une même société. La première situation a des chances de se produire surtout dans des sociétés qui manquent d'une organisation sociale systématique permettant la reproduction au fil des générations de groupes formant les unités constitutives de l'ensemble. Ce sera notamment le cas des sociétés qui ne connaissent que la filiation indifférenciée, marquée par l'absence d'une parenté qui donne sa structure à la société. Au contraire, le totémisme « social » qui qualifie les[...]
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Écrit par
- Daniel de COPPET : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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