TOTEM ET TOTÉMISME
Le totémisme et le problème des classifications
Selon Lévi-Strauss, cette remarque de Radcliffe-Brown « supprime définitivement le dilemme où étaient enfermés aussi bien les adversaires que les partisans du totémisme, puisque deux rôles seulement pouvaient être assignés par eux aux espèces vivantes : celui de stimulant naturel, ou celui de prétexte arbitraire. Les animaux du totémisme cessent d'être, seulement et surtout, des créatures redoutées, admirées, ou convoitées : leur réalité sensible laisse transparaître des notions et des relations, conçues par la pensée spéculative à partir des données de l'observation. On comprend enfin que les espèces naturelles ne soient pas choisies parce que bonnes à manger, mais parce que bonnes à penser. »
Les classifications totémiques nous font ainsi découvrir comment la pensée développa une logique première fondée sur des oppositions binaires et des corrélations qui ont pour support des termes qualitatifs, telles les espèces végétales et animales. Ainsi le « totémisme » recèle-t-il à la fois tout le savoir détaillé qu'une société s'est approprié et l'ensemble des relations symboliques permettant de relier entre eux les différents niveaux de l'observation, de l'interprétation et de l'action.
Classification du monde naturel et classification sociale sont donc intimement mêlées. Mais ce n'est pas par leurs éléments que ces constructions sont spécifiques, c'est par les relations qu'elles établissent entre les termes. Ainsi, d'après Lévi-Strauss, « seules les formes peuvent être communes, mais non les contenus ». Plus loin dans La Pensée sauvage, il écrit : « Ce qui importe aussi bien sur le plan spéculatif que sur le plan pratique, c'est l'évidence des écarts, beaucoup plus que leur contenu. » Force est donc d'admettre que ces écarts différentiels ne peuvent être creusés qu'au prix d'un appauvrissement de la totalité empirique. Cela vaut d'être noté. Aussi, « loin d'être une institution autonome, le totémisme, ou prétendu tel, correspond à certaines modalités arbitrairement isolées d'un système formel, dont la fonction est de garantir la convertibilité idéale de tous les niveaux de la réalité sociale ». La démonstration de Lévi-Strauss s'appuie sur des exemples ethnographiques qui sont autant de développements de la méthode comparative. Elle « consiste précisément à intégrer un phénomène particulier dans un ensemble que le progrès de la comparaison rend de plus en plus général ». Pour illustrer la réalité sous-jacente des systèmes de transformations, il reprend un exemple qui avait déjà retenu l'attention de Frazer, puis celle de Freud : il s'agit de la manière dont sont reconnus et attribués, en Mélanésie, les totems à certains individus. À Aurora, au Vanuatu, c'est la mère qui, pendant sa grossesse, s'imagine, à la faveur d'un incident banal, que son enfant a une relation privilégiée avec une plante ou un animal, dont il sera en quelque sorte le reflet très ressemblant. À cette découverte s'attache un ensemble de prohibitions alimentaires dont la principale est l'interdiction de consommer ce à quoi on est identifié. Ces coutumes étaient, selon Frazer, à l'origine de celles qui ont été reconnues aux îles Loyauté et aux îles Salomon, où un individu, avant de mourir, révélait l'animal sous la forme duquel il se manifestera après sa mort. Cette annonce était accompagnée de l'interdiction faite aux descendants de manger ou de tuer l'animal ancêtre. Frazer s'en était tenu à privilégier les caprices des femmes enceintes, tandis que Lévi-Strauss dégage un système de transformation à partir d'une triple opposition : « Entre la naissance et la mort, entre le caractère collectif ou individuel qui affecte soit un diagnostic,[...]
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Écrit par
- Daniel de COPPET : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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