TOUAREG
Colonisation et sécheresses
C'est donc une société hétérogène que les Français trouvent à leur arrivée au Sahara. Grandement facilitée par l'émiettement des Touaregs, la conquête coloniale se heurte néanmoins à de multiples résistances. Mais la supériorité militaire et technique des nouveaux conquérants est trop forte, et le combat trop inégal. Aussi, malgré quelques victoires ponctuelles qui vont sensiblement retarder la pénétration française, les différentes confédérations sont défaites et soumises l'une après l'autre.
Une place à part doit être faite à l'épopée de Kaosen, figure éminente de la résistance anticoloniale. Personnage aux origines sociales mal connues (d'ascendance servile pour les uns, il serait de souche noble pour les autres), Kaosen ag Kedda lève l'étendard de la lutte contre les Français de 1917 à 1920. Son art consommé du combat, son aura font alors de lui un leader à la stature incomparable. Habile, il s'allie d'abord aux Turcs puis à la confrérie de la Sanussiya qui s'oppose aux Italiens en Tripolitaine, avant de regagner l'Aïr (dans l'actuel Niger) où il entreprend d'organiser la résistance contre les Français. Se posant en unificateur de son peuple, Kaosen est aussi, pour certains, porteur d'un projet modernisateur de transformation de la société touarègue dans le sens d'une plus grande intégration et d'un égalitarisme étranger à l'organisation des différentes confédérations. Sa démarche suscite donc inévitablement l'opposition des chefs traditionnels. Cela, combiné avec de fréquents changements d'alliance, lui sera fatal. Attaqué et arrêté par les Turcs dans le Tibesti (Tchad actuel), il sera pendu, et ses derniers partisans décimés dans la foulée. Personnage manifestement hors du commun, Kaosen reste en grande partie une énigme. Fut-il vraiment le visionnaire que d'aucuns voient en lui ? Ne fut-il qu'un chef de razzia doué d'une envergure supérieure à la moyenne ? La réponse appartient aux historiens.
Ce qui est certain, en revanche, c'est que la conquête coloniale et la période de « pacification » qui la suivit accélèrent le processus de déstructuration de la société touarègue. L'administration française n'est pourtant pas d'une pesanteur extrême ; au contraire, fascinés par le mode de vie nomade, les Français se contentent d'exercer un contrôle relativement lâche, en s'efforçant de perturber le moins possible l'organisation sociale touarègue. Mais la colonisation va inexorablement faire son œuvre. Les grandes confédérations sont progressivement affaiblies, les réseaux communautaires distendus, les chefferies soumises ou annihilées. Plus grave encore, l'économie pastorale est structurellement fragilisée par le jeu des contraintes administratives, cependant que le trafic caravanier décline régulièrement.
Sur la crise économique vont en outre se greffer les effets de la sécheresse. Celle-ci, au moins depuis le début du xxe siècle, présente un caractère cyclique. La mémoire collective touarègue conserve ainsi le souvenir de la terrible sécheresse qui affecta l'Aïr en 1913, provoquant famine et désolation. D'autres, moins graves, suivirent, avant celle de 1969-1974 dont les effets dramatiques amorcèrent une prise de conscience en Occident. La dernière en date se situa dans la période 1981-1985. Comparable par sa rigueur à celle de 1913, elle consomma la déchirure du tissu social touareg, provoquant notamment un exode massif des jeunes.
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Écrit par
- René OTAYEK : directeur de recherche au C.N.R.S., à Sciences Po Bordeaux
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