TOUAREG
Intégration forcée ou marginalisation
Déstabilisée dans ses fondements mêmes, la société touarègue était sans aucun doute mal préparée à affronter les recompositions politiques induites par la décolonisation. En effet, une fois avorté le projet français de l'Organisation commune des régions sahariennes (O.C.R.S.) dont il fut brièvement question dans les années 1950, les Touaregs se trouvent définitivement écartelés entre plusieurs États-nations très jaloux de leur souveraineté. Inédite pour eux, cette situation les somme de s'inscrire dans des cadres frontaliers, « nationaux », totalement étrangers à leur vision du monde et de l'espace. En outre, un peu partout, les élites qui héritent des commandes de l'État postcolonial sont issues des populations sédentaires dont les projets de société excluent les préoccupations des nomades. Les centres de décision, politiques et économiques, sont pareillement érigés dans les régions sud, loin des zones de peuplement touareg. Enfin, restés à l'écart de l'école coloniale, les Touaregs sont de facto exclus du partage du pouvoir, et si, çà et là, il y a quelques ministres touaregs, ils n'ont que peu de liens avec leur communauté.
Cette situation a pu faire penser que la marginalisation des Touaregs constituait en quelque sorte une revanche des anciens esclaves noirs contre leurs maîtres. Cette thèse n'est pas totalement fondée. En effet, elle ignore les relations commerciales et la complémentarité qui existaient entre les Touaregs et les populations « sudistes », ainsi que les liens politiques qui les unissaient notamment aux royaumes haoussa.
Si elle ressortit faiblement au clivage ethnique, la marginalisation des Touaregs relève fondamentalement de la logique centralisatrice qui prévaut dans tous les États issus de la décolonisation. Dans cette perspective, les Touaregs, nomades, à l'écart des activités économiques, peu respectueux des contraintes administratives, sont perçus négativement, car difficilement contrôlables. Aussi, les politiques étatiques à leur égard oscillent-elles constamment entre le laisser-faire, de nature à accentuer leur marginalisation, et la sédentarisation plus ou moins forcée. Ce dernier cas de figure s'observe en Libye et, plus encore, en Algérie où les autorités mènent une politique d'assimilation culturelle, politique et économique très active. Le Niger, lui, jusqu'en 1990, se signala par son désintérêt officiel pour la question. En fait, c'est au Mali que les rapports entre Touaregs et pouvoir central furent et restent les plus conflictuels, marqués par une volonté de discrimination ethnique. Ce fut le cas, dès le début des années 1960, avec le régime de Modibo Keita. L'armée et l'administration, formées essentiellement de sudistes, se rendirent alors coupables d'exactions telles que les Touaregs de l'Adrar entrèrent en rébellion. Le même scénario s'est déroulé en 1990, aggravé par les frictions qui opposèrent les Touaregs aux Songhaï, noirs et sédentaires, sans que des manipulations de l'armée soient à exclure.
Toujours tenus en suspicion, souvent pourchassés et contraints, les Touaregs n'ont souvent qu'une alternative : l'exil ou les armes. C'est ainsi que nombre d'entre eux se sont retrouvés, à leur corps défendant, en Algérie ou en Libye, enrôlés dans la Légion islamique du colonel Kadhafi et propulsés sur les champs de bataille au Liban ou en Irak. Pour les autres, il n'y a d'autre choix que la guérilla, sans issue, ou la négociation.
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Écrit par
- René OTAYEK : directeur de recherche au C.N.R.S., à Sciences Po Bordeaux
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