TOURBIÈRES
Formation des tourbières
Les conditions
La formation de tourbe nécessite deux bilans excédentaires : celui de la matière organique, dont la production doit l'emporter sur la décomposition ; celui de l'eau, le sol, malgré l'évapotranspiration, devant rester engorgé. L'eau est en fait le facteur essentiel : elle permet la vie des hygrophytes turfigènes ; sa stagnation rend le milieu asphyxiant, d'où un effet sélectif sur les micro-organismes de la rhizosphère et le ralentissement marqué des processus biochimiques de décomposition ; enfin, elle atténue les variations thermiques et abaisse sans doute fortement les moyennes des saisons chaudes, au moins quand elle imprègne des sphaignes : il gèle régulièrement tout l'été dans les tourbières acides de plaine du Massif armoricain (J. Touffet), du Bray (B. Frileux), du Laonnois (F. Morand).
Le macroclimat est donc le facteur essentiel de la turbification : quand les précipitations l'emportent sur l'évapotranspiration, les tourbières apparaissent dès que la température permet l'établissement d'une végétation dense : il s'agit alors des tourbières ombrogènes, très acides et oligotrophes. Un faible déficit de pluviosité est localement compensé s'il existe des vallées marécageuses rassemblant les eaux : il se forme alors des tourbières topogènes ; selon la nature de leurs eaux, ces tourbières topogènes sont calcaires (eutrophes, pH ≥ 6,5) ou, plus rarement, mésotrophes (pH de 6,5 à 5,5), voire oligotrophes (pH de 5,5 à 4), quand les eaux sont pauvres en calcium.
Dynamique d'une tourbière ombrogène
L'une des séries évolutives les plus complètes s'observe en France sur le second plateau du Jura, vers 1 000 mètres d'altitude : les tourbières topogènes calcaires, initiales, passent en effet rapidement, sous l'influence du climat (1 400 mm de précipitations annuelles, 7 0C de moyenne thermique), à des tourbières ombrogènes.
Les eaux où naissent ces tourbières reposent sur des moraines wurmiennes argilocalcaires (pH de 8 à 7). Les surfaces d'eau libre sont colonisées progressivement à leur périphérie par des roseaux, des scirpes (Scirpus lacustris) et de nombreux Carex, mais l'évolution s'accélère quand des hydrophytes lancent à la surface des eaux un réseau plus ou moins dense d'organes végétatifs : aux nénuphars et potamots s'adjoint parfois une rarissime relicte glaciaire, Carex chrodorrhiza, aux longs rhizomes flottants.
Sur les plantes précédentes prennent appui de grandes mousses aquatiques (pleurocarpes : Scorpidium, Drepanocladus) qui colmatent les interstices et forment un radeau rougeâtre : une basse tourbière flottante (« tremblant ») est réalisée. Ce premier stade est marqué par la présence de petites plantes (Scirpus pauciflorus, Triglochin palustris, par exemple), qui, avec des Carex et des Menyanthes plus robustes, consolident l'édifice.
Le radeau s'épaissit ; sa base s'enfonce sans se décomposer par suite de la pauvreté de plus en plus grande de l'eau en oxygène. Le colmatage complet de l'espace aquatique conduit à la tourbière consolidée, neutre (pH de 7,5 à 6,5), où, dans un tapis de mousses et de Carex, fleurissent diverses Orchidées, des Primula farinosa roses, Swertia bleus, dominés par l'or des Senecio helenitis et les panaches blancs des Eriophorum latifolium.
Sur cette tourbière topogène va s'édifier, par suite du climat, une tourbière ombrogène bombée. Un stade mésotrophe superficiel (pH de 6 à 5) se marque par une mousse jaunâtre (Aulacomnium palustre), une violette (Viola palustris), le comaret... L'apparition de Carex stellulata et de quelques sphaignes indique le début du stade suivant : la tourbière haute oligotrophe.
Le rôle des sphaignes est ici capital. Par leurs membranes riches[...]
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Écrit par
- Marcel BOURNÉRIAS : docteur ès sciences, professeur agrégé en sciences naturelles
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