TOUS SUBLIMES. VERS UN NOUVEAU PLEIN-EMPLOI (B. Gazier)
La social-démocratie et l'État-providence, ces deux piliers de nos sociétés européennes apparaissent aujourd'hui déstabilisés par un chômage persistant, et de plus inégalitaire, qui mine la viabilité et, plus encore, la légitimité même de notre contrat social. Dans ce contexte difficile, l'Europe du tournant du siècle semble, à bien des égards, tentée par une adaptation sociale-libérale, fondée sur les réflexions théoriques du Britannique Anthony Giddens à propos d'une « troisième voie », incarnée notamment par la politique de Tony Blair. Tous « sublimes ». Vers un nouveau plein-emploi (Flammarion, Paris, 2003) explore une autre voie de réforme de notre modèle social, celle des « marchés transitionnels » du travail, centrée sur une mobilité aménagée et plus respectueuse des choix de vie des travailleurs. L'ouvrage de Bernard Gazier propose, comme figure emblématique de cette liberté de choix, le « sublime », ouvrier très qualifié du xixe siècle, maître du partage de son temps entre travail et loisirs.
Pour Bernard Gazier, le problème principal des marchés du travail n'est pas une précarité généralisée, les individus professionnellement « stables » demeurant majoritaires (quoique de plus en plus « stressés »), c'est la concentration du poids des transformations des conditions de l'emploi sur certains groupes, en particulier les jeunes, les seniors, les moins qualifiés et les femmes. Ce problème existe dans tous les pays, mais il pèse tout particulièrement dans ceux où la protection sociale est traditionnellement liée au travail. Les discontinuités des carrières entraînent alors un « mitage » des droits sociaux, qui vient redoubler les inégalités. Les politiques correctrices, développées dans le courant des années 1980 et 1990, permettent de limiter la pauvreté, mais ne peuvent éviter des mécaniques de « tri redoublé », où l'exclusion initiale du marché du travail conduit à des trajectoires de relégation dans des emplois aidés mais de mauvaise qualité, ou vers l'inactivité. Malgré la diversité des expériences et leur inventivité, les politiques de l'emploi demeurent le plus souvent des solutions de compromis, « faute de mieux ».
Dans ce contexte, Bernard Gazier plaide pour une réforme ambitieuse de notre modèle social, fondée sur un retour à la notion d'égalité. Il s'agit ici d'une égalité des ressources, ou des possibles (au sens du philosophe et théoricien de la justice Ronald Dworkin), envisagée comme fondement de la justice sociale dans un monde de rareté. Cette notion d'égalité n'implique nullement une uniformisation sociale, mais appelle une redistribution des positions sur le marché du travail, par la création de droits de tirages sociaux, permettant le choix et la mobilité.
En pratique, un tel projet conduit à faire de l'ensemble des positions temporaires de travail et d'activité, appelées transitions, un objet central d'analyse et d'intervention : c'est ce qui constitue l'originalité de l'approche des « marchés transitionnels ». On peut identifier cinq champs principaux de transition : au sein de l'emploi ; entre l'emploi et le système éducatif ; entre l'emploi et le chômage ; entre l'emploi et les activités domestiques ; entre l'emploi et les retraites. Toutefois, toute mesure isolée de promotion des transitions ne peut être assimilée à la perspective des « marchés transitionnels » : cette dernière exige une négociation d'ensemble, ouvrant des opportunités à tous quel que soit leur statut. L'intervention doit respecter quatre principes généraux : accroître la liberté individuelle (ou l'autonomie) en donnant aux personnes en transition plus de pouvoir ; promouvoir la solidarité face aux risques associés au marché du travail, en incluant tous les groupes sociaux dans les programmes de redistribution ; rechercher l'efficacité[...]
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Écrit par
- Christine ERHEL : maître de conférences à l'université de Paris-I, chercheur au Centre d'études de lemploi (C.E.E.)
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