ORALE TRADITION
La plupart des cultures humaines se sont développées sans autres moyens de transmission de l'information que la parole humaine et sans autre moyen de stockage que la mémoire individuelle. Ce simple constat donne immédiatement une idée de l'ampleur du domaine qu'on circonscrit sous le nom de « tradition orale », et des problèmes que pose une telle étude. La tradition orale concerne des systèmes socioculturels extrêmement différents ; elle met en jeu des phénomènes essentiels du fonctionnement mental humain, quant aux modes de communication et de mémorisation, sur lesquels nos connaissances sont surtout conjecturales.
Le phénomène de l'oralité caractérise donc un domaine immense de faits culturels. En se limitant même aux sociétés de tradition uniquement orale, on doit y inclure des phénomènes aussi hétérogènes que la littérature orale et les généalogies, mais aussi les rituels, coutumes, recettes et techniques, dont le trait commun est d'avoir été censément légués par les générations antérieures, de renvoyer au passé de la société. Les spécialistes ont parfois réduit l'usage de l'expression « tradition orale » aux seuls énoncés dont le propos explicite est de décrire le passé : mythes de fondation, légendes historiques ou encore chroniques locales ou dynastiques. C'est là une division artificielle, car, dans les sociétés concernées, mythes et contes, rites et coutumes constituent un héritage oral intégré, dans lequel de telles distinctions ne sont pas pertinentes.
L'étude de l'oralité a été dispersée entre plusieurs disciplines – ethnologie, linguistique, histoire – et les hypothèses proposées dans ces divers contextes sont souvent incompatibles, voire contradictoires. Il n'existe pas aujourd'hui de théorie unifiée ni même de paradigme de l'étude des traditions orales. C'est pourquoi, faute de présenter un panorama, nous nous contenterons d'exposer quelques problèmes essentiels. La tradition orale peut être étudiée de deux points de vue : comme le processus par lequel sont transmises certaines informations et acquises certaines pratiques, mais aussi comme l'ensemble des produits, des énoncés transmis oralement. Ces deux genres d'étude peuvent porter sur des phénomènes spécifiques, limités à une société ou à un domaine culturel donnés, ou aboutir à des hypothèses de portée plus générale. Dans l'une et l'autre entreprise, il faut noter qu'ethnologues et historiens ont largement privilégié l'étude des « produits » par rapport à celle des « processus », aboutissant aujourd'hui à une situation paradoxale : alors qu'on dispose d'hypothèses nombreuses, riches et variées quant au contenu et à l'organisation des traditions orales, il n'existe que fort peu de travaux sur le phénomène même de la transmission orale. Ainsi, les spécialistes qui formulent des hypothèses universelles sur des phénomènes tels que l'universalité de certaines structures narratives n'ont pas essayé de les relier systématiquement aux contraintes de la transmission orale des récits. C'est pourquoi bien des théories se réduisent à énumérer certaines propriétés récurrentes de l'oralité sans en proposer d'explication.
Authenticité et pertinence : le témoignage oral
Du point de vue de l'observateur extérieur, les cultures à tradition orale sont marquées par un paradoxe fondamental. La mémoire individuelle constitue un dispositif de stockage des informations aux limites évidentes ; en outre, lorsqu'il est utilisé à l'exclusion de tout autre système, ce dispositif est censé se contrôler lui-même, fournir la mesure de sa propre exactitude, ce qui augmente d'autant les possibilités d'erreur. Pourtant, les groupes concernés mettent tous l'accent sur[...]
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Écrit par
- Pascal BOYER
:
research fellow au King's College de l'université de Cambridge
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