TRADITION
La tradition dans le christianisme
Désignant nécessairement une démarche interpersonnelle, la tradition est une notion sociologique, relative à un groupe familial, à une classe sociale, à un ensemble professionnel, à une aire géographique ; tout comme la notion d'État, elle peut s'incarner pour un temps dans un individu, elle ne peut s'identifier à lui ; le propos prêté à un pape du xixe siècle : « La tradition, c'est moi », n'est pas plus véridique que le célèbre « L'État, c'est moi ». La tradition est une notion historique ; elle est l'appel que le présent adresse au passé, ou l'héritage par lequel le passé se survit dans le présent ; quelle que soit la rapidité avec laquelle elle se constitue parfois, il n'y a pas de tradition dans l'instant. Pour ces deux raisons, la religion, en particulier la religion révélée, est par excellence le champ de la tradition ; faire table rase de ce qui l'a précédé est l'attitude du philosophe ; l'homme religieux s'accomplit au contraire en s'insérant dans une continuité qui le dépasse ; même les religions qui naissent sous nos yeux n'ont de cesse qu'elles ne se constituent en traditions, et les révolutions qui se produisent dans ce domaine ne se donnent pas pour des commencements absolus, mais pour des retours à une origine oubliée. De toutes les religions révélées, le christianisme est sans doute la plus traditionnelle ; il est la seule qui ait élevé la tradition à la dignité d'un « argument », c'est-à-dire d'un critère de vérité doctrinale ; c'est dans le christianisme que les documents relatifs au bon ou mauvais usage de la tradition sont le plus nombreux et le plus explicites. C'est donc le christianisme que l'on interrogera principalement ; faute d'en pouvoir suivre toute l'histoire, on s'arrêtera à trois périodes déterminantes, qui sont l'apparition du thème dans le Nouveau Testament, son développement dans la théologiepatristique, enfin les déchirements et les approfondissements de la Renaissance ; mais on tentera auparavant une analyse plus générale, pour laquelle on empruntera des exemples dans différents contextes culturels et religieux.
Phénoménologie de la tradition
Aujourd'hui où la principale séduction est celle de la modernité, on comprend mal que le même prestige se soit attaché en d'autres temps à l'ancienneté. Parmi les multiples témoins de cette mentalité, on peut citer le mythe de l'âge d'or où les hommes étaient plus près des dieux et de la nature, et après lequel la sagesse et le bonheur ne cessèrent de se dégrader ; l'auctoritas vetustatis que, bien avant la fin de l'Antiquité classique, l'on reconnut aux premiers poètes, aux Sept Sages, aux philosophes présocratiques ; le mos maiorum dont le souvenir inspira la république romaine. Une illustration typique de cet état d'esprit apparaît dans les controverses qui opposèrent les différentes cultures sur la priorité chronologique de leurs fondateurs respectifs ; c'est ainsi que les juifs de l'époque hellénistique et les chrétiens des premiers siècles rivalisèrent d'efforts pour établir, contre le paganisme grec, que Moïse et les prophètes avaient précédé, et donc secrètement inspiré Homère, Hésiode ou Platon. Dans cette perspective, toute nouveauté devint synonyme d'erreur ; c'est, au xixe siècle, la thèse de l'école dite précisément traditionaliste : « La vérité, quoique oubliée des hommes, n'est jamais nouvelle : elle est du commencement, ab initio. L'erreur est toujours une nouveauté dans le monde ; elle est sans ancêtres et sans postérité ; mais par cela même elle flatte l'orgueil, et chacun de ceux qui la propagent s'en croit le père » (L. de Bonald) ; mais,[...]
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Écrit par
- René ALLEAU : historien des sciences et des techniques, ingénieur conseil
- Jean PÉPIN : directeur de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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Média
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