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TRAGÉDIE

La tragédie au XVIIe siècle français

Genèse et évolution

Quand l'essentiel du théâtre sérieux était représenté en France par les mystères et les moralités, le terme même de tragédie n'évoquait pas autre chose que le récit, sous quelque forme littéraire que ce fût, d'histoires tragiques, consacrées au meurtre, au viol, aux horreurs de la guerre. La tragédie française est née vers 1550 de la conjonction de plusieurs influences : théâtre scolaire néo-latin des Muret et des Buchanan, redécouverte des œuvres et des thèmes de l'Antiquité, soit à travers Sénèque (dont l'influence restera prépondérante jusqu'en plein xviie siècle), soit grâce aux adaptations humanistes, en latin ou en français, de quelques tragédies de Sophocle et d'Euripide, prestige, enfin, de la tragédie italienne, représentée particulièrement par Luigi Alamanni, et des théoriciens italiens du genre, Vida et Trissino, en attendant les commentaires célèbres d'Aristote, dus à Scaliger et à Castelvetro. De la Cléopâtre de Jodelle (1552) aux Juives de Robert Garnier (1583), la tragédie de la Renaissance française demeure consacrée aux infortunes des grands de ce monde, qui, ainsi que l'écrit Vauquelin de La Fresnaye vers 1570, usurpent la louange « aux dieux appartenante » et se trouvent précipités d'une grandeur excessive à une misère insupportable ou à la mort. Le succès du thème des Troyennes, repris notamment en 1579 par Garnier, atteste le goût des hommes de ce temps pour les drames les plus sombres.

Dès les dernières années du xvie siècle, ce type de tragédie a traversé une crise où le genre a failli mourir. Malgré les mérites de l'œuvre mi-humaniste, mi-maniériste d'Antoine de Montchrestien, ou ceux d'Alexandre Hardy qui, malgré ses outrances, demeurait un fervent disciple de la Pléiade, la tragédie tendait alors à se confondre soit avec un drame multiforme mais toujours violent, comparable à la Tragédie espagnole de Thomas Kyd, soit, et de plus en plus, avec une tragi-comédie aventureuse où les périls du héros et de l'héroïne n'avaient plus du tragique que l'apparence, et où les craintes des spectateurs étaient vite surmontées par la satisfaction de l'issue heureuse. Quand, en 1628, Jean de Schelandre reprenait la sombre tragédie qu'il avait donnée en 1608 pour en faire une tragi-comédie, il avait conscience d'aller dans le sens de l'évolution du goût en faisant ressusciter ses héros et en les récompensant par un heureux mariage. Dix années plus tard, préfaçant L'Amour tyrannique de Georges de Scudéry, Jean-François Sarasin faisait, en prétendant s'appuyer sur Aristote, l'apologie de la tragédie à fin heureuse (1639).

L'âge de Corneille substitue à ces hésitations entre la violence débridée et les déguisements tragi-comiques une conception authentiquement tragique du drame, où les héros ne parviennent à leur pleine expression que moyennant le renoncement à tout ce qui paraissait devoir assurer leur bonheur. Ce néo-stoïcisme sereinement vécu par un Rodrigue ou un Polyeucte, poussé par Isaac Du Ryer jusqu'à l'absurde, vécu religieusement par les héros de Mariane ou de La Mort de Sénèque chez Tristan L'Hermite, teinté de néo-platonisme dans l'œuvre de Jean de Rotrou, constitue comme l'armature morale de la tragédie française à l'époque de Louis XIII.

On a souligné avec raison la coupure introduite par la Fronde et les déceptions qui l'ont suivie dans l'évolution des genres dramatiques en France. La tragédie authentique a failli y périr une fois encore au profit d'œuvres purement romanesques ou brillamment vides, comme tant de poèmes de Boyer et de Thomas Corneille. Le grand Corneille lui-même a été tenté par ces formules nouvelles qui sacrifiaient à la sensibilité[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle (études théâtrales), professeur au Conservatoire national supérieur d'art dramatique (dramaturgie)
  • : auteur
  • : professeur honoraire au Collège de France

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