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TRAITE DES PERSONNES

Article modifié le

« L'esclavage est l'état ou la condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux. » Cette définition, formulée par la Société des Nations peu après sa création, fut finalement acceptée par la majorité des États membres et admise par l'Organisation des Nations unies qui, en 1948, adoptait l'article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. » De la « traite même des êtres humains » il était spécifié qu'elle désigne et « comprend tout acte de capture, d'acquisition ou de cession d'un individu en vue de le réduire en esclavage, tout acte d'acquisition d'un esclave en vue de le vendre ou de l'échanger ; tout acte de cession, par la vente ou l'échange, d'un esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, ainsi qu'en général tout acte de commerce ou de transport d'esclaves, quel que soit le moyen employé » (convention arrêtée par la SDN en 1926, appliquée par l'ONU en 1955). Le cadre juridique de l'état d'esclavage était fixé ; les éléments constitutifs de son exploitation nettement définis. L'un et l'autre étaient interdits. Mais le fait que les plus importantes organisations internationales se penchent encore sur ces problèmes et tentent de les mieux cerner pour essayer de les résoudre démontre que la situation de servitude de certaines personnes et les tractations que celle-ci entraîne subsistent et que ces pratiques, bien qu'elles aient revêtu des formes différentes, larvées ou clandestines, n'en constituent pas moins une triste survivance qu'il faut combattre avec l'assentiment de tous les pays, qu'ils soient ou non directement concernés.

Négoce et transfert d'êtres humains ont culminé au xviiie siècle. Ils se pratiquaient alors ouvertement, et on les connaît bien par divers écrits, comptes et mémoires. Nulle voix ne s'était sérieusement élevée pour les flétrir ou les combattre ; au contraire, on rencontre au fil des siècles des justifications d'ordre économique, religieux, culturel et même humanitaire. On ne peut parler de prise de conscience véritable qu'au xixe siècle, lorsque la Grande-Bretagne, après avoir bénéficié des transports et profité des navires négriers, devint le champion de l' abolitionnisme. Les pays européens puis les États bénéficiaires déclarèrent à leur tour la traite hors la loi.

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Si la traite internationale a pratiquement disparu de nos jours dans ces formes transocéaniques, esclavage ou tout au moins servitude et trafics intérieurs subsistent en certains pays. Sous l'impulsion des institutions internationales, il faudra encore de longues années et bien des réformes de structures sociales et économiques, de même qu'un effort de réadaptation, pour que cessent ces pratiques aux racines si profondes (cf. abolitionnisme, esclavage, traite des noirs).

L'activité internationale contemporaine

La S.D.N. et la convention de 1926

Dans le climat très favorable d'après la Première Guerre mondiale, la SDN créa la Commission temporaire de l'esclavage. Ses suggestions aboutirent à la convention internationale du 25 septembre 1926 qui complétait et développait l'acte de la Conférence de Bruxelles (1890) et donnait effet pratique, dans le monde entier et non plus seulement en Afrique, aux intentions exprimées. Les deux définitions données ci-dessus servent de préambule à la convention. Il est ensuite convenu entre les parties contractantes qu'elles s'engagent à prévenir et à réprimer la traite des esclaves, à poursuivre la suppression complète de l'esclavage sous toutes ses formes, d'une manière progressive et aussitôt que possible.

L'embarquement, le débarquement, le transport des esclaves doivent être proscrits dans les eaux territoriales de même que sur les navires nationaux. Pour la première fois, il est fait état du travail forcé obligatoire qui ne saurait amener à des conditions analogues à l'esclavage et auquel les parties doivent s'efforcer de mettre fin progressivement. Malgré ces précautions qui tiennent compte des conditions économiques de certains États, la convention constitue une charte précise et les résultats sont encourageants : l'esclavage est aboli par les textes en Afghanistan, en Irak, au Népal, en Jordanie et en Iran. En revanche, l'Éthiopie se voit refuser son adhésion à la S.D.N. tant qu'elle n'aura pas pris l'engagement d'abolir l'esclavage.

L'O.N.U. et la convention de 1956

Après la Seconde Guerre mondiale, l'ONU prend la relève de la SDN. Elle crée un Comité spécial de l'esclavage et décide de compléter la convention de 1926 en traitant de toutes les pratiques analogues à l'esclavage. Elle le fait par la convention de 1956, entrée en vigueur le 30 avril 1957.

Cette convention supplémentaire tient compte des travaux de l'Organisation internationale du travail ( OIT) et constate qu'esclavage, traite et pratiques analogues n'ont pas encore été éliminés dans toutes les régions du monde. Elle maintient les deux définitions, mais en donne une nouvelle de la « personne en condition servile », c'est-à-dire placée dans le statut ou la condition qui résultent d'une des institutions ou pratiques visées et que les parties contractantes s'engagent à abolir ou à abandonner par les mesures législatives et autres qui s'imposent :

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– la servitude pour dettes ;

– le servage, c'est-à-dire la condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord de vivre et de travailler sur la terre d'autrui et de lui fournir certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition :

– toute institution ou pratique en vertu de laquelle : 1o une femme est, sans qu'elle ait le droit de refuser, promise ou donnée en mariage moyennant une contrepartie versée en espèces ou en nature à ses parents, son tuteur, ou sa famille ; 2o le mari d'une femme, la famille ou le clan de celui-ci ont le droit de la céder à un tiers ; 3o la femme peut, à la mort de son mari, être transmise par succession ;

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– toute institution ou pratique en vertu de laquelle un enfant ou un adolescent de moins de dix-huit ans est remis à un tiers, contre paiement ou non, en vue de l'exploitation.

Quant à la traite, elle constituera une infraction pénale punie de peines rigoureuses ; les ports et aérodromes ne pourront servir au transport de personnes, tandis que les responsables des navires ou des aéronefs qui effectueront de tels transports seront considérés comme coupables. Tout esclave qui se réfugiera sur un navire sera libre. Là où l'esclavage ou les institutions et pratiques analogues ne sont pas encore complètement abandonnés, le fait de mutiler ou de marquer une personne de condition servile constituera une infraction pénale.

Tout État membre était invité à ratifier cette convention et prenait ainsi l'engagement de la suivre scrupuleusement. Le rythme de ratification est assez lent et, en 2022, de nombreux pays n'avaient pas encore répondu (Europe : Vatican, Liechtenstein, Monaco ; Amérique latine : Colombie, Costa Rica, Guyane, Honduras, Panamá, Paraguay, Venezuela ; Asie : Birmanie, Indonésie, Japon, Liban, Corée, Thaïlande, Yémen ; Afrique : République d'Afrique du Sud, Burkina Faso, Burundi, Bénin, Gabon, Gambie, Guinée équatoriale, Kenya, Libye, Somalie, Tchad). En revanche, les États africains suivants ont adhéré à la convention : Algérie, Cameroun, Côte d'Ivoire, Égypte, Éthiopie, Ghana, Guinée, Lesotho, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, île Maurice, Mauritanie, Niger, Nigeria, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République du Congo, Sénégal, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Tunisie, Togo et Zambie.

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On pourrait s'étonner que tant d'États, notamment africains, n'aient pas encore adhéré à la convention. Il faut savoir que le mécanisme de ratification est très lent et que, en outre, certains de ces pays, devenus indépendants après les discussions ayant abouti à ce texte, sont peu enclins à admettre des résolutions à l'élaboration desquelles ils n'ont pas collaboré.

Action des organismes internationaux

Depuis 1966, la Commission des droits de l'homme de l'ONU est chargée de la question. De nombreuses études y sont consacrées. En 1968, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires nomme un rapporteur afin de disposer d'informations précises et d'étudier les possibilités d'une action de police internationale pour arrêter et réprimer le transport de personnes en danger d'être réduites en esclavage. Dans un rapport très dense, Mohamed Awad rend compte de ses efforts. À vrai dire, il n'est jamais fait état de faits précis et incontestables. Soixante-quinze pays seulement ont répondu au questionnaire du rapporteur et précisé que leur législation était suffisante pour lutter contre toutes les pratiques signalées et que, par ailleurs, celles-ci ne subsistaient par chez eux.

Les consultations du rapporteur auprès des organismes internationaux spécialisés (OIT, FAO, OMS, UNESCO) se sont révélées négatives, puisque aucun abus ne leur a été signalé et qu'aucune information positive n'a été recueillie.

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L'OIT, dont le but est d'améliorer les normes de travail, dispose de la convention du 25 juin 1957 sur le travail forcé. Chaque pays membre s'engage à le supprimer en tant que mesure de coercition ou d'éducation politique, de méthode de mobilisation et d'utilisation de la main-d'œuvre, de mesure de discipline de travail ou bien encore de discrimination raciale, sociale, nationale ou religieuse. L'OIT expose les difficultés qu'elle rencontre et spécifie notamment que « le recours à diverses formes d'obligation répondait au souci d'assurer au plus grand nombre le droit au travail, à certains services sociaux que reconnaissaient les lois fondamentales des pays en cause [...]. Ceux-ci ont généralement voulu faire face à des responsabilités pressantes, dans des conditions économiques où ils estimaient ne pas avoir le choix. »

Ces explications montrent à quel point on ressent dans certaines parties du globe le poids de contraintes économiques dont on est obligé de tenir compte pour l'équilibre du pays. La liberté du travail ne peut s'épanouir que lentement, par une formation professionnelle plus sérieuse, gage d'une qualification certaine, par l'assurance contre l'instabilité et par la lutte contre la politique salariale à bon marché ; c'est à ce prix que seront constitués les fondements d'une économie solide et efficace. Quant à la servitude, l'OIT ne peut que préconiser des mesures qui protègent les populations aborigènes ou tribales en leur accordant la jouissance des droits et avantages des autres secteurs de la population.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n'a signalé aucune demande d'aide d'esclave libéré.

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L'UNESCO, quant à elle, consacre ses efforts à expliciter, à justifier et à enseigner les principes de la Déclaration universelle « qui ne pourront être traduits dans la réalité de la vie de chacun qu'après avoir été profondément enracinés dans les consciences, étant donné la profondeur des égoïsmes qu'ils combattent, la force des préjugés, des traditions et des principes qu'ils bouleversent » (rapport de l'UNESCO présenté à la Commission des droits de l'homme de l'ONU, 26e session).

La Société antiesclavagiste, créée à Londres en 1823, reçoit des rapports concernant des cas d'esclavagisme. Elle les transmet aux pays incriminés et en saisit éventuellement l'ONU. Elle a des raisons de croire que l'esclavage et surtout les pratiques analogues subsistent dans la structure de la société de quelques pays, mais manque, elle aussi, d'informations précises.

L'action d'Interpol

Devant le manque d'éléments positifs et le peu d'empressement de certains pays à faire face à ces problème, l'ONU, a fait appel à l'Organisation internationale de police criminelle (Interpol), puisqu'il avait été envisagé d'étudier les possibilités d'une action de police internationale et que les informations recueillies par son rapporteur étaient insuffisantes (décembre 1971 et janvier 1972).

Interpol est un organisme international de coopération et non pas une force de police compétente sur l'ensemble du globe. Sollicitée, Interpol signalait qu'elle possédait une grande expérience des affaires concernant la traite des femmes et le proxénétisme, mais n'avait été que fort peu mise à contribution pour des affaires d'esclavagisme. Néanmoins, elle prêterait son concours à l'ONU dans la mesure où les actes prévus étaient punissables par les législations des pays membres. Il ne pouvait être envisagé une force de police internationale, mais les techniques appliquées dans les autres disciplines (stupéfiants, fausse monnaie, banditisme) pouvaient être utilisées. Néamoins, des difficultés étaient à prévoir en raison d'un climat peu propice à la répression dans les pays où les actes visés n'étaient pas ressentis pas les autorités comme répréhensibles étant donné leurs structures sociales. Se conformant aux désirs de l'ONU, Interpol adressait un questionnaire circonstancié à ses cent quatorze adhérents. À l'exception de deux pays africains qui signalaient des cas isolés ne concernant d'ailleurs pas leurs nationaux, toutes les autres réponses (une cinquantaine) étaient négatives. Ainsi, il est significatif de donner connaissance des termes employés par une république africaine : « Il n'est pas impossible que l'esclavage, qui est un état de sujétion physique, morale, civile et économique d'une personne à une autre, imposée par la contrainte et plus généralement permise par les coutumes, subsisterait encore dans certaines ethnies ou plus particulièrement au sein des tribus étrangères résidant sur notre territoire [...]. Les autorités compétentes (justice-police) n'ont jamais été informées d'affaires en relation avec les faits concernant des pratiques et il nous est impossible de vous fournir des renseignements concrets. » Quant aux affaires rapportées par les deux pays mentionnés, il s'agissait : 1o d'un couple qui avait emmené dans un pays voisin une fille et l'avait vendue à un couple de la même nationalité que la leur mais résidant dans cet État (1964) ; 2o de deux étrangers exerçant dans un pays limitrophe la profession d'« éleveurs » : ils étaient arrêtés et inculpés de « traite humaine », le premier pour avoir vendu en 1968 à un compatriote une fillette de dix ans contre vingt chameaux (la fillette devait mourir de soif dans le désert où elle gardait un troupeau), le second pour avoir vendu une femme et ses deux enfants et pour détenir en servitude une femme et ses trois filles en différents endroits du territoire (postes ou points d'eau). Il est bon de spécifier que les deux États ayant déclaré ces faits n'ont pas ratifié la convention de 1956, mais n'en possèdent pas moins une législation réprimant ces pratiques.

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Interpol a mis le problème de la traite des personnes et des pratiques esclavagistes à l'ordre du jour de son assemblée générale de Francfort en septembre 1972. Une commission fut créée, composée des États volontaires suivants : République fédérale d'Allemagne, Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Inde, Italie, Mauritanie, Portugal, Venezuela. Cette composition est symptomatique de la volonté de la plupart des pays concernés par le problème de ne pas se prêter à la discussion. Celle-ci ne pouvait donc être que de faible intérêt. Le délégué de la Mauritanie ne se préoccupa que du cas des travailleurs noirs s'expatriant en Europe, sans contrat de travail, ce qui est tout autre problème. Une proposition fut néanmoins faite à l'assemblée générale, aux termes de laquelle Interpol apporterait son concours aux Nations unies dans la lutte contre les actes qui créent ou maintiennent l'esclavage ou des états similaires, et dans la réunion d'informations relatives à de tels actes. Les autorités responsables furent invitées à considérer ces pratiques, à prendre toutes mesures pour assurer la collecte d'informations à ce sujet, à prêter assistance aux victimes, à entreprendre des investigations contre les auteurs de tels actes, à former et à éduquer des personnels compétents et à communiquer au Secrétariat général toutes les informations concrètes recueillies afin de le mettre en mesure de renseigner utilement l'ONU. L'assemblée générale vota cette résolution sans qu'aucun délégué ait pris la parole.

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Écrit par

  • : directeur central honoraire de la police judiciaire au ministère de l'Intérieur.

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