TRAITE DES PERSONNES
Les survivances
Le tour d'horizon des institutions les plus qualifiées pour connaître des questions relatives à la traite des personnes laisse une curieuse impression. Alors que toutes consacrent une partie de leurs efforts à lutter contre l'esclavagisme à travers le monde, elles n'énoncent pourtant aucun cas formel et ne semblent pas en possession d'informations précises. Il ne faudrait pas en déduire pour autant que leurs alarmes sont dépourvues de fondement.
La traite a pratiquement disparu sous sa forme tristement connue, c'est-à-dire l'achat et le transfert d'êtres humains à travers les continents. On assure toutefois, sans que la preuve péremptoire soit faite, que le trafic d'esclaves au profit du Moyen-Orient se perpétuerait à l'occasion des annuels pèlerinages à la Mecque. Organisés dans toute l'Afrique noire musulmane, ils drainent nombre de fidèles dans les charters spécialement affrétés ; pour certains d'entre eux, le voyage serait sans retour. Il est certain que des actes mercantiles sur les personnes existent encore dans les régions du monde les plus déshéritées, rendus possibles par la misère, le manque de travail et les moyens dérisoires de défense des individus qui en sont victimes.
Mais les cas qui agitent l'opinion internationale concernent avant tout des abus analogues à l'esclavage. Il s'agit de la servitude pour dettes, du servage, du mariage forcé des filles contre espèces ou dons en nature, enfin, parfois, de l'adoption truquée d'enfants en vue de l'exploitation de leur travail. Il faut être bien conscient que ces habitudes ne sont pas considérées comme foncièrement répréhensibles par tous les États, en Afrique, en Asie, et qu'une forme de servage est toujours en vigueur dans des régions d'Amérique du Sud. Les gouvernements intéressés ne marquent aucun empressement à révéler et à éliminer ces pratiques, ouvertes ou clandestines, car la loi pénale ne les sanctionne pas toujours et elles fournissent une apparence de solution à leurs problèmes économiques ou sociaux.
Dans beaucoup d'États, en Afrique noire surtout, le mariage obéit à des rites séculaires toujours observés. Ainsi, la dot est versée par le prétendant qui achète sa future pour une certaine somme, du cheptel (vaches, cabris...), des objets ménagers (batterie de cuisine, vaisselle...). Dans les régions de bonne exploitation (par exemple, au Cameroun, culture de cacao), la femme vaut, au minimum, 2 000 francs français, plus des avantages en nature. Si le fiancé ne dispose pas des fonds, il lui est fait crédit et il s'acquitte en plusieurs années ; mais la femme ne lui appartient et le mariage ne devient effectif que lorsqu'il s'est acquitté de la totalité de ses dettes. En outre, les enfants nés avant apurement des comptes ne sont pas au couple : ils restent propriété de la famille maternelle qui ne les cède que lorsque la créance est éteinte.
Concernant la servitude, on peut citer les centaines de milliers d'ouvriers agricoles voltaïques qui sont employés chez de petits planteurs ivoiriens. Ils concluent un accord verbal aux termes duquel ils sont logés, entretiennent les cultures de café ou de cacao et reçoivent partie de la récolte. Ils sont rarement rétribués. La pauvreté du pays d'origine de ces immigrants explique l'exode forcé de ses hommes sans emploi et justifie, aux yeux de l'État, la taxe individuelle perçue à l'occasion de chaque cas d'embauche de ses nationaux. Cette exploitation des habitants des États les plus pauvres par ceux des pays relativement aisés se retrouve dans bien d'autres régions d'Afrique. Au Togo, il est fréquent de voir de nombreux immigrés travailler le sol et y vivre chichement contre une rémunération dérisoire ou nulle. En République centrafricaine, les populations pygmées sont exploitées par les Bantous. L'emploi[...]
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Écrit par
- Max FERNET : directeur central honoraire de la police judiciaire au ministère de l'Intérieur.
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