TRAJAN (53-117)
Un politique
Le « meilleur des princes » exerce sa charge dans une monarchie absolue : sans cette évidence fondamentale, on ne peut pas comprendre la vie de l'État romain. Et il semble même que cet absolutisme ait été renforcé à partir de 112, quand s'annonça la guerre contre les Parthes. Chef des armées, l'imperator commande de manière concrète ; il se met à la tête de l'état-major et décide de tout en dernier ressort : cette monarchie absolue est donc aussi une monarchie militaire. Mais point de pouvoir solitaire : le souverain s'entoure d'« amis », titre officiel donné aux conseillers qu'il s'est choisis. Les uns se spécialisent plutôt dans le domaine militaire ; on les a appelés les « maréchaux », par analogie avec les lieutenants de Napoléon Ier : ce sont Licinius Sura, Cornelius Palma, Lusius Quietus et même, dans une certaine mesure, Hadrien, qui a néanmoins montré par la suite plus de goût pour la paix. D'autres manifestent des compétences particulières pour les affaires civiles. On pense ici au cercle de Pline le Jeune, où gravitaient les historiens Suétone et Tacite, et qui était imprégné du probabilisme de la Nouvelle Académie ; cette doctrine philosophique enseignait un scepticisme de bon ton, condamnait les attitudes trop tranchées et les certitudes absolues. On ne sera pas étonné d'apprendre que Trajan lui-même témoignait plus de sympathie à l'austère et héroïque stoïcisme.
De fait, l'empereur ne doit pas être caricaturé sous les traits d'un matamore : son action est fondée sur une théorie qui peut être connue à travers la propagande qu'elle a engendrée. À cet égard, d'ailleurs, il n'innove pas totalement ; depuis l'époque d'Auguste, ses prédécesseurs avaient pris l'habitude d'exprimer la conception qu'ils se faisaient de leur rôle à travers leurs titulatures ; celles-ci, passablement stéréotypées sous le Haut-Empire, sont portées sur les monnaies et surtout sur les inscriptions. Un texte, gravé en 114 dans le sud de l'Espagne, permet de saisir de manière concrète cette idéologie : « Les habitants de la cité [ont fait placer cette pierre] en l'honneur de l'empereur César Auguste Nerva Trajan, fils de Nerva divinisé, [prince] excellent, vainqueur des Germains, des Daces et des Parthes, souverain pontife, revêtu de la XVIIIe puissance tribunicienne, acclamé imperator à sept reprises, six fois consul et père de la patrie. » De chaque terme se dégage un caractère dominant. On distingue ainsi trois grandes catégories de pouvoirs. Apparaît d'abord un aspect civil et politique : « César », Trajan est le lointain héritier du célèbre dictateur ; la puissance tribunicienne lui confère une inviolabilité sacrée et le droit de veto sur les actes des autres magistrats ; le consulat constitue un honneur, comme les surnoms d'« excellent prince » et de « père de la patrie ». Cette titulature relève ensuite du domaine militaire : l'« empereur » est le général en chef, victorieux par la volonté des dieux et « acclamé » par ses soldats ; il porte les titres des succès qui lui ont valu le triomphe (par exemple « Dacique »). Vient enfin ce qui est peut-être le plus important, l' élément religieux : être fils d'un homme divinisé confère bien évidemment un caractère sacré certain ; le « souverain pontife » contrôle la religion ; l'Auguste, « augmenté », est marqué par un charisme divin.
Mais Trajan a fait plus qu'imiter ses prédécesseurs. Il a innové. Et c'est le mérite d'Eugen Cizek de l'avoir montré : jusqu'en 112, la vie politique est placée sous le signe de la ciuiltas (mot dérivé de ciuis, « citoyen ») : on met alors l'accent sur l'aspect civil du régime. S'inspirant de R. Paribeni, Jérôme[...]
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Écrit par
- Yann LE BOHEC : professeur à l'université de Grenoble
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Médias
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