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TRAVAIL La fin du travail ?

Valorisation-dévalorisation du travail

La mise en place de la réduction du temps de travail a-t-elle accentué une tendance à la dévalorisation du travail à l'œuvre dans nos sociétés, qui se caractériserait par un moindre attachement des individus au travail, ou encore par une structuration de l'identité individuelle par d'autres éléments que le seul travail ? Pour répondre à cette question, une perspective longue s'impose. Or, en adoptant une telle perspective, on constate que le travail n'a été valorisé que depuis peu, réellement et massivement depuis le xviiie siècle, notre époque moderne pouvant à juste titre être considérée comme portant à leur apogée les « sociétés fondées sur le travail », selon l'expression de Jürgen Habermas (1985).

Des sociétés sans travail ?

Nombreux, en effet, sont les textes se rapportant aux modes de vie des sociétés pré-économiques (dites primitives) qui mettent en évidence l'impossibilité de trouver une signification identique au terme « travail » employé par les différentes sociétés étudiées, « certaines d'entre elles n'ayant pas même de mot distinct pour distinguer les activités productives des autres comportements humains et ne disposant d'aucun terme ou notion qui synthétiserait l'idée de travail en général » (Marie-Noëlle Chamoux, 1994). Certaines sociétés ont une conception très extensive du travail alors que d'autres ne désignent par ce terme que les activités non productives. De manière générale, la recherche de moyens permettant la subsistance et la satisfaction des besoins ne s'inscrit pas dans un processus indéfini tendant à une abondance jamais atteinte ; elle n'occupe au contraire qu'une petite partie du temps et des intérêts des peuples considérés. Par ailleurs, on ne trouve nulle part, liées dans un même et unique concept, l'ensemble des notions et des significations auxquelles notre concept de travail renvoie (peine, transformation de la nature, création de valeur...).

Il en va de même pour l'époque grecque archaïque et classique (Pierre Vidal-Naquet et Jean-Pierre Vernant, 1988, 1974 ; Paul Veyne, 1999). On trouve en Grèce des métiers, des activités, des tâches, mais on chercherait en vain « le travail ». Les activités sont au contraire classées dans des catégories irréductiblement diverses et traversées par des distinctions qui interdisent de considérer le travail comme une fonction unique. La plus importante concerne la différence entre les tâches rassemblées sous le terme de ponos, activités pénibles, exigeant un effort et un contact avec les éléments matériels, donc dégradant, et celles qui sont identifiées comme ergon (œuvre) et qui consistent en l'imposition d'une forme à une matière. Dans la Grèce archaïque, la hiérarchie des activités s'ordonne selon le plus ou moins grand degré de dépendance vis-à-vis des autres : en bas de l'échelle, l'activité des esclaves et du thète, ensuite celle des artisans et des mendiants (qui appartiennent à la même catégorie, celle où l'on ne vit que de la commande ou de la rétribution d'autrui). Les activités commerciales sont également tenues en piètre estime : les activités qu'on appellerait aujourd'hui laborieuses – même si, rappelons-le, elles ne sont pas à l'époque rassemblées sous le même concept – ne sont pas méprisées en elles-mêmes mais en raison de la servitude à autrui qu'elles entraînent.

Tout au long de la domination de l'Empire romain, et jusqu'à la fin du Moyen Âge, la représentation de ce que nous appellerons plus tard le travail ne connaîtra pas de bouleversement majeur. La classification des activités telle qu'elle est présentée par Cicéron, puis la classification médiévale des arts reprendront les distinctions établies par les Grecs. [...]

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Écrit par

  • : philosophe, agrégée de philosophie, ancienne élève de l'École normale supérieures (Sèvres) et de l'E.N.A.

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