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TRAVAIL La fin du travail ?

Temps de travail, temps sociaux

À de nombreuses reprises, des sociologues ou des politiques sont revenus, à la fin des années 1990, sur la question de la fin du travail, en indiquant que, non seulement nous étions bien loin d'une telle situation, mais encore qu'il était aberrant de préférer les loisirs ou le temps libre au travail, ce dernier devant rester le lieu central de participation. Ce faisant, ces réflexions en restaient à une approche des temps et des activités très grossière, notamment parce qu'elles restaient enfermées dans l'opposition binaire entre travail et loisirs, comme si celle-ci épuisait les possibles et comme si une réduction du temps de travail ne pouvait être suscitée que par un désir de plus de loisir. Raisonner ainsi occulte pourtant la multiplicité des temps et des lieux dans lesquels sont engagés les individus et les membres de leur famille, et surtout néglige l'une des évolutions les plus marquantes du dernier tiers du xxe siècle : la montée inexorable et continue de l'activité des femmes, y compris lorsqu'elles ont de jeunes enfants.

Montée de l'activité féminine et manque de temps

On est passé d'un taux d'activité féminine entre vingt-cinq et quarante-neuf ans de 41,5 p. 100 en 1962 à 80 p. 100 en 2000, et l'on a assisté à de profondes modifications des comportements d'activité, du niveau d'études et des souhaits féminins de carrière sans que les modèles en place, les mentalités, les comportements, les institutions soient rénovés et adaptés à cette nouvelle donne. Les femmes, malgré ces considérables changements, continuent en effet d'assurer plus de 80 p. 100 du noyau dur des tâches domestiques et l'essentiel des soins aux enfants, les deux activités représentant un volume de temps important et rigide.

C'est ce qui explique pourquoi ce sont aujourd'hui les femmes, et notamment les femmes travaillant à temps complet et ayant de jeunes enfants, qui se plaignent le plus de « manquer de temps », en raison non seulement du nombre d'heures plus important qu'elles accordent aux tâches domestiques et familiales, mais aussi du décalage entre les rythmes des modes de garde ou les rythmes scolaires et les rythmes propres à la vie professionnelle.

Si l'on regarde en détail les conséquences de la réduction du temps de travail, qui a eu lieu en France de 1996 à 2002, sur les modes de vie, les activités qui se sont le plus développées avec la réduction du temps de travail sont celles qui concernent les enfants (Méda, Orain, 2002) : plus de 60 p. 100 des femmes ayant des enfants de moins de douze ans et plus de 50 p. 100 des hommes dans la même situation déclarent passer plus de temps avec leurs enfants depuis que la R.T.T. s'est appliquée à eux. Les autres activités les plus développées sont le repos, le bricolage et les départs en week-end (avec de fortes différenciations sociales pour ce dernier item). On constate aussi une forte recomposition de l'emploi du temps consacré aux tâches domestiques pour les femmes. Enfin, les personnes les plus satisfaites de la R.T.T., c'est-à-dire celles qui déclarent que « les effets de la réduction du temps de travail sur leur vie quotidienne sont allés dans le sens d'une amélioration », sont également les femmes avec enfants de moins de douze ans (71 p. 100 contre une moyenne de 59 p. 100) et, d'une manière générale, les salariés avec enfants de moins de douze ans, qui sont parvenus à passer plus de temps avec ceux-ci et trouvent que la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale s'est améliorée.

Réduire le temps de travail pour les loisirs ou pour la famille ?

Les personnes qui déclarent souffrir de manque de temps et font état d'un besoin de surcroît de temps « libre », non professionnel, ne le font donc pas au nom des loisirs, mais[...]

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Écrit par

  • : philosophe, agrégée de philosophie, ancienne élève de l'École normale supérieures (Sèvres) et de l'E.N.A.

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