TRAVERSÉE DES MONDES. ARTMÉDECINE EN AFRIQUE (exposition)
La Fondation Claude Verdan-Musée de la Main, qui a ouvert ses portes à Lausanne le 28 février 1997, organise des expositions ayant pour thème les relations entre la science et l'art, proposant par exemple, du 27 octobre 2000 au 25 février 2001, un voyage dans le musée imaginaire de Nicolas Bouvier sous le titre Le Corps-miroir du monde. Du 4 mai au 16 septembre 2001, la Fondation a proposé l'expositionTraversée des mondes. Artmédecine en Afrique, qui traitait conjointement – c'était son originalité – de deux thèmes différents mais imbriqués l'un dans l'autre, tous les deux très propices à la controverse, à un moment historique où l'on s'interroge sur les relations de la civilisation occidentale avec les civilisations d'ailleurs.
En invitant à un parcours, balisé d'objets significatifs et de cartels explicatifs, à travers les conceptions et les pratiques thérapeutiques africaines, elle soulevait la question d'un métissage possible entre notre médecine rationnelle et hautement technicisée et les médecines traditionnelles. En privilégiant une approche didactique des objets montrés – statuettes, instruments, ornements divers – sans pour autant négliger leur mise en valeur esthétique, elle s'inscrivait dans le débat sur la manière d'exposer les « arts premiers ».
En France, ce débat a rebondi avec l'ouverture, au Pavillon des Sessions au Louvre, en avril 2000, des nouvelles salles contenant 120 chefs-d'œuvre d'Afrique, d'Asie, d'Amérique et d'Océanie, présentés en tant qu'objets d'art et non en tant qu'objets ethnographiques. Il continuera d'être alimenté, ces prochaines années, avec la création du musée du quai Branly. En Suisse également, le sujet est sensible. Peut-on appliquer à des œuvres fabriquées en vue d'une fonction sociale, aussi formellement remarquables soient-elles, les critères élaborés par l'histoire de l'art occidentale ? Peut-on les exposer hors contexte, dans une perspective purement artistique ?
À l'entrée de l'exposition de la Fondation Claude Verdan, un proverbe africain était écrit sur le mur : « L'art, pour celui qui en connaît les secrets, est caché dans un brin d'herbe, mais pour celui qui l'ignore il est caché sous une haute montagne. » Message ambigu pour nos esprits logiques, dont la muséographie semblait s'être inspirée : décor modeste entièrement en carton, vitrines cadrant étroitement les objets, les empêchant de faire autour d'eux le vide qui incite à s'incliner avec déférence devant le Beau ; mais décor qui, par sa sobriété même, faisait ressortir la magnificence des formes, l'éclat des matériaux, la finesse des détails.
Emblématique de cette ambiguïté : une boîte presque totalement fermée, à l'intérieur de laquelle on ne pouvait apercevoir que par de minces fentes un objet cultuel kono provenant du Mali qui, dans son milieu d'origine, ne devait justement pas être exposé aux regards ; les organisateurs de l'exposition préservaient ainsi le mystère attaché à la fonction de l'objet thérapeutique tout en ménageant des échappées sur l'œuvre, décrite de manière aussi intrigante qu'invérifiable comme étant composée de « chaux blanche, terre, ficelle, cire, corne de chèvre et de bovidés, poils de phacochère et piquants de porc-épic ».
Qu'est-ce qui fascine dans les statuettes nkisinkondi du Congo, criblées de clous ou chargées de tissus, plumes, cordages et verroteries, censées à la fois éloigner le mal et l'attirer sur les ennemis ? La densité esthétique, le pittoresque, mais aussi, indissociablement, la vision spirituelle et sociale du monde qui les habite. Vision d'un ordre à la fois naturel et surnaturel où chaque individu s'inscrit dans[...]
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Écrit par
- Silvia RICCI LEMPEN : docteure en philosophie de l'université de Genève, écrivain et journaliste
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