TRIANGLE D'OR (Paris)
L'avenue Montaigne ou l'apogée de la griffe spatiale
Des familles bourgeoises vivaient encore récemment dans cette avenue dont quelques-unes dans des immeubles familiaux. Mais cette artère est aujourd'hui connue dans le monde entier pour ses commerces de luxe : Dior, qui fut le premier à s'y installer en 1947, Nina Ricci, Jean-Louis Scherrer, les briquets Dupont ou les sacs Vuitton. J.-L. Scherrer venait de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, pourtant fort cotée. Mais, au début des années 1970, il n'a pas voulu rester à l'écart du mouvement de regroupement de la haute couture sur l'avenue Montaigne et il s'est installé aux numéros 51 et 53. Au fur et à mesure que des appartements se libèrent, il les occupe, contribuant ainsi à l'effritement continu et rapide du tissu résidentiel du quartier. Les locaux sont affectés principalement aux ateliers qui, selon la règle impérative de la Chambre patronale de la haute couture, doivent être situés dans le même immeuble que les salons d'essayage pour qu'elle puisse décerner son label. Or ces immeubles furent construits vers 1875 et abritèrent durant presque un siècle des familles de la haute noblesse et de la bourgeoisie. Le prince Jean-Louis de Faucigny-Lucinge y naquit en 1904. Le Bottin mondain de 1936 ne mentionne pas moins de 52 familles y résidant, dont la moitié jouit d'un titre nobiliaire. Aujourd'hui, outre J.-L. Scherrer et la boutique de prêt-à-porter Genny, les appartements, transformés, abritent des cabinets d'avocats, de médecins, d'experts-comptables, des conseillers juridiques et fiscaux.
Les magasins de Louis Vuitton sont installés aux numéros 52 et 54. Le bagagiste de luxe a remplacé le hall des automobiles Panhard. Marque aujourd'hui disparue, elle disposait comme ses concurrentes de locaux d'exposition dans les beaux quartiers, notamment sur les Champs-Élysées, souvenirs d'un temps où l'automobile était un produit de luxe réservé à quelques privilégiés.
Tout à côté, au numéro 50, la façade de style rocaille (xviiie siècle), bien que construite à la fin du xixe siècle, masque une rénovation totale de l'intérieur de l'immeuble qui n'a conservé aucune de ses boiseries. Il est représentatif de l'évolution du quartier. Hôtel particulier du comte de Lariboisière, il fut occupé à partir de 1922 par la maison de haute couture de Madeleine Vionnet. Celle-ci fit construire sur cour un bâtiment de six étages, à usage d'ateliers ; cette densification du bâti qui se généralise alors modifie de manière insidieuse l'environnement urbain, en faisant disparaître les communs ou les écuries et en augmentant le taux d'occupation du sol. Devenu propriété de la société Philips France, qui y installa son siège social, l'immeuble a été revendu en 1989 à un promoteur. La façade sur rue étant soigneusement conservée, des bureaux parisiens de la Walt Disney Company s'y sont installés après de radicales transformations. Depuis les années 1970 en effet le phénomène du « façadisme » se développe à Paris : les façades des hôtels particuliers ou des immeubles sont souvent préservées alors que les fonctions du bâtiment ont changé. La façade d'un édifice étant le seul élément accessible à l'observation directe, la transformation de l'habitat en bureaux ne peut être perçue que par la modification de l'ambiance urbaine due à la multiplication des emplois, à la présence jusqu'alors inusitée de nombreux employés dont certaines habitudes (comme celle de déjeuner rapidement d'un sandwich en pleine rue) ont pu heurter la population résidente, ou ce qu'il en reste.
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Écrit par
- Monique PINÇON-CHARLOT : directeur de recherche au C.N.R.S.
- Michel PINÇON : directeur de recherche au C.N.R.S.
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Média