TRIANGLE D'OR (Paris)
L'avenue des Champs-Élysées ou l'effritement de la griffe spatiale
Un seul hôtel particulier témoigne aujourd'hui de l'époque où l'avenue était synonyme d'élégance, de mondanités et de richesse. C'était au temps de la Païva, une demi-mondaine du second Empire, pour laquelle fut construit, au numéro 25, entre 1856 et 1866, un palais Néo-Renaissance. Il abrite depuis 1928 un cercle d'hommes d'affaires internationaux, le Traveller's Club. Les soirs de grande réception, on peut apercevoir les miroitements des dorures et les somptueux plafonds du xixe siècle. Smokings et robes longues ont alors quelque chose d'anachronique à quelques pas de Virgin Megastore et du magasin Prisunic, situés de l'autre côté de l'avenue. À leur place, des numéros 52 à 60, se dressait au milieu d'un parc au début du xxe siècle l'hôtel particulier du duc de Massa. Les habitants du quartier tentèrent d'interdire à un promoteur de le raser et obtinrent une demi-victoire : le bâtiment, construit en 1784, fut démonté pierre à pierre en 1926-1927 et fut reconstruit 38, rue du Faubourg-Saint-Jacques, siège aujourd'hui de la Société des gens de lettres. Mais le parc a disparu, victime de la densification du bâti.
Les années 1960 marquent un tournant dans l'évolution des Champs-Élysées : les commerces de luxe de l'avenue, comme Vuitton, commencent alors à céder la place à des magasins nettement moins prestigieux qui, aujourd'hui, occupent l'essentiel des rez-de-chaussée des immeubles. McDonald's et les jeux électroniques ont désormais pignon sur rue.
Le dépeuplement des beaux quartiers est le fruit de leur succès. Ce processus a transformé Paris et a abouti à cette « boulevardisation », comme les rapports administratifs ou la presse qualifient le phénomène par référence à l'évolution urbaine des Grands Boulevards. Les Champs-Élysées en sont actuellement l'exemple le plus connu, ce qui a d'ailleurs motivé leur réhabilitation au début des années 1990.
À l'instigation des sociétés et des propriétaires riverains des Champs-Élysées, la Ville de Paris a réalisé une opération de rénovation de l'avenue. La qualité du revêtement des sols, du mobilier urbain (dû à Jean-Michel Wilmotte), la disparition du stationnement en surface, une réglementation plus stricte de la publicité et des installations commerciales, ont permis de redonner un certain cachet à une artère qui, petit à petit, prenait l'aspect dégradé des Grands Boulevards.
En juillet 1997, l'ouverture d'un grand hôtel international a semblé amorcer un mouvement de reconquête sociale. L'hôtel Mariott s'est installé au numéro 70, dans l'ancien immeuble de Louis Vuitton. En février 1998, Vuitton lui-même est revenu sur l'avenue en ouvrant un magasin de 1 000 m2 en face du Fouquet's, autre établissement de prestige créé en 1898, lieu de rendez-vous du monde du cinéma. La menace de fermeture du Fouquet's suscita d'ailleurs la création d'une association de défense qui parvint à le sauver des convoitises des promoteurs en le faisant classer comme lieu de mémoire en 1988.
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Écrit par
- Monique PINÇON-CHARLOT : directeur de recherche au C.N.R.S.
- Michel PINÇON : directeur de recherche au C.N.R.S.
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Média