TRIBALISME
L'utilisation massive et hors de propos du terme « tribalisme » montre bien que certains abus de vocabulaire et d'interprétation idéologique ont leur source dans les imprécisions, pour ne pas dire les lacunes, du discours anthropologique. La notion de tribalisme recouvre des phénomènes et des réalités si différents et si disparates qu'on ne sait plus si elle renvoie au type de structure sociale qui semble la justifier (tribu) ou à un phénomène spécifique plus ou moins indépendant d'une formation sociale ou historique précise.
Dans son sens premier, le tribalisme se réfère à la conscience de soi du groupe (tribal), au sentiment d'appartenance et d'identité sociale et culturelle. Le tribalisme exprime une réalité complexe, à la fois culturelle, idéologique et politique. La tribu n'est plus, à la limite, qu'un signifié du passé précolonial et des formes sociales élémentaires. Mais les situations coloniale et néo-coloniale ont donné naissance à de nouveaux tribalismes qui ne se réduisent pas à la simple mise à jour des tribalismes antérieurs. Ce phénomène – secondaire – est déterminé par les nouvelles contradictions sociales (d'origine externe) auxquelles les sociétés ethniques ou tribales se trouvent confrontées. Cette deuxième forme de tribalisme devient une forme originale d'expression politique et sociale dont le contexte d'explication n'est pas le passé précolonial mais l'État national et les luttes de classes qui le traversent. La confusion commune vient de ce qu'on explique et décrit ce tribalisme avec les caractéristiques du premier. En dernier lieu, le tribalisme peut acquérir un sens supratribal et définir une espèce de nationalisme, comme c'est aujourd'hui le cas de la communauté indienne aux États-Unis. Ce tribalisme, volontaire et construit, peut même devenir une nouvelle idéologie qui n'a plus aucun rapport avec un groupe tribal, quel qu'il soit.
Acceptions communes et anthropologiques
L'usage du terme tribalisme est très largement péjoratif. Le vocabulaire qui lui est le plus fréquemment associé est négatif ou dépréciatif : les haines, les oppositions, les luttes, les éclatements (tribalistes) connotent un champ sémantique confus et opaque. Le tribalisme devient un cadre vide et formel qui se trouve défini par ses qualificatifs.
Même sans le vouloir, ceux qui parlent des valeurs négatives et positives du tribalisme insistent tant sur les premières que les secondes paraissent bien dérisoires. Ainsi, l'anthropologue britannique P. C. Lloyd mentionne « l'hostilité et la rivalité ethniques » et affirme que « l'exclusivisme ethnique procure une base toute prête à des mouvements politiques séparatistes ». Comment, dans ces conditions, penser l'identification ethnique comme un instrument de la construction nationale ! Le tribalisme serait donc, avant tout, une forme dépassée ou inadaptée de la cohésion sociale. Les théoriciens de l'anthropologie appliquée, comme L. Mair ou B. Malinowski, ont pu cautionner une telle interprétation qui ignore les conséquences complexes de la domination coloniale. Leur vision étroitement fonctionnaliste les conduit à concevoir le tribalisme comme l'expression d'une unité autonome et autarcique, qui refuse et méconnaît le « contrôle extérieur » (c'est-à-dire en fait le pouvoir colonial). C'est ainsi que naît la dichotomie politique qui oppose le tribalisme (particulariste-conservateur) au nationalisme (universaliste-novateur). Cette conception générale se retrouve dans la plupart des courants théoriques qui se partagent l'anthropologie et la sociologie du sous-développement. Ainsi, G. Balandier, pourtant partisan d'une théorie dynamiste, sous-entend que le tribalisme est en partie « la résurgence des anciens antagonismes ». C'est pourquoi certains chercheurs n'ont pas hésité à rejeter[...]
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Écrit par
- Jean COPANS : docteur de troisième cycle (sociologie), maître assistant au Centre d'études africaines de l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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