TRIBALISME
Le tribalisme dans la société contemporaine
Les luttes sociales
Les anthropologues et les sociologues perçoivent encore à peine les dimensions inédites du tribalisme en liaison avec les luttes sociales ; ses rapports avec les tribalismes originels ou les tribalismes reconstitués de l'époque coloniale sont, de ce point de vue, des plus ténus. D'après J. Lombard, les contradictions sociales risquent de prendre et d'utiliser une forme tribale lorsqu'il y a deux ou trois grandes ethnies majoritaires à l'intérieur du cadre national. Dans les cas où c'est un seul groupe ethno-culturel qui domine ou au contraire une multiplicité d'ethnies qui s'équilibrent, l'argument tribaliste a moins de chances de prévaloir. Pour P. Mercier et P. L. van den Berghe, c'est la rareté des ressources et donc la lutte pour le pouvoir et les richesses qui expliquent les conflits ethniques et tribaux. C'est surtout au sein des classes privilégiées que la compétition prend ce caractère.
Il n'est pas évident que ce tribalisme empêche le développement de classes sociales et l'apparition d'une conscience de classe. Certains anthropologues pensent même que le tribalisme offre à l'heure actuelle un des moyens les plus efficaces de domination idéologique à certaines classes sociales : bourgeoisie naissante, bureaucratie. Ce tribalisme s'intègre à leur tactique politique ; il mobilise une masse de manœuvre et fait diversion ; il est mystificateur. Il n'exprime donc plus du tout l'ensemble des caractéristiques et des intérêts d'un groupe tribal ou de son élite politique et économique traditionnelle. Au contraire, ce nouveau tribalisme est plutôt une idéologie de classe. Son particularisme est sans doute trompeur, mais il provient du fait que seul un tribalisme peut toucher les groupes et classes dominés : il est la traduction obligée de la domination, si elle veut se maintenir et s'étendre.
L'histoire récente du Nigeria et la sécession ratée du Biafra le démontrent bien. C'est le processus colonial qui, par la scolarisation massive des Ibo, est à l'origine des particularités sociales et ethniques du groupe des fonctionnaires et des militaires. Les élites politiques haoussa n'avaient pas le pouvoir et la prééminence politique correspondant à leur place économique dans la société nigérienne, alors que les fonctionnaires ibo n'avaient pas l'ensemble de la base matérielle et économique correspondant à la place qu'ils occupaient dans l'appareil militaire et administratif. L'appel au nationalisme ethnique, au tribalisme, était dans ce cas le seul moyen idéologique à la disposition des fonctionnaires et bourgeois ibo pour mobiliser l'ensemble de la population ibo dans la défense de ses intérêts de classe.
Formes communautaires et idéologie tribaliste
Produit spécifique de la situation d'où il tire son nom, le tribalisme néo-colonial est un tribalisme aliénant. Il vise à faire accepter la domination de certains groupes sociaux par l'ensemble des groupes dominés et exploités. Parfois, il permet même de susciter de faux conflits entre groupes dominés, afin de consolider la domination de classes encore faibles sur le plan numérique ou institutionnel. Dans le cas où le tribalisme est l'idéologie dominante, la lutte contre celle-ci passe obligatoirement par un antitribalisme.
Il existe pourtant des tribalismes libérateurs. C'est ainsi qu'on peut qualifier le contenu des luttes récentes des Indiens d'Amérique du Nord. Ce tribalisme indien vise plusieurs objectifs : il est d'abord pantribal ou panindien ; il n'est donc pas la propriété d'un groupe tribal particulier. La déliquescence de la vie indienne dans les réserves et la dispersion de celles-ci à travers tout le territoire des États-Unis et du Canada rendent nécessaire une unité du peuple[...]
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Écrit par
- Jean COPANS : docteur de troisième cycle (sociologie), maître assistant au Centre d'études africaines de l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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