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TRIBU

Les anthropologues désignent habituellement par le terme « tribu » deux réalités, deux domaines de faits différents mais liés. D'une part, presque tous s'en servent pour distinguer un type de sociétéparmi d'autres, un mode d' organisation sociale spécifique qu'ils comparent à d'autres (« bandes », « États », etc.). Ce point cependant ne fait pas l'unanimité parmi eux par suite de l'imprécision des critères sélectionnés pour définir et isoler ces divers types de société. Mais le désaccord est encore plus profond à propos du second usage du terme « tribu », lorsqu'il désigne un stade de l'évolution de la société humaine. Le lien entre ces deux usages est d'ailleurs très clair puisque, dans la perspective des évolutionnistes, chaque stade d'évolution est caractérisé par un type spécifique d'organisation sociale. La majorité des anthropologues se refusent toutefois à conclure de l'existence d'un mode d'organisation sociale à l'existence d'un stade nécessaire de l'évolution de l'humanité et contestent même la possibilité théorique d'une analyse scientifique de l'évolution des sociétés humaines (E. R. Leach), ou dénient tout intérêt à se préoccuper de leur histoire. C'est le cas, à l'exception notable d'Evans-Pritchard ou de Raymond Firth, de la plupart des anthropologues qui se réclament du fonctionnalisme ou d'un certain structuralisme. En outre, même parmi ceux qui défendent le projet de construire une théorie scientifique de l'évolution sociale, certains, comme Herbert Lewis, ne considèrent pas le mode d'organisation tribale de la société comme un stade nécessaire et général de cette évolution, et d'autres, comme Morton Fried, vont plus loin encore, et y voient à la fois l'effet secondaire de l'apparition de sociétés étatiques et un véritable cul-de-sac de l'évolution de l'humanité.

Enfants-soldats au Soudan - crédits : John Downing/ Getty Images

Enfants-soldats au Soudan

En définitive, bien que le terme « tribu » envahisse littéralement les écrits et les discours des anthropologues et ne semble pas situé dans les zones des combats théoriques les plus âpres de l'anthropologie, depuis une décennie le doute, l'inquiétude, la critique et parfois le refus déclaré ont peu à peu fait leur apparition à son propos, jusqu'à la crise ouverte actuelle. Neiva, à la suite de Leach, crie à la « scandaleuse imprécision du concept », Julian Steward, évolutionniste lui-même, incite à la plus grande prudence devant ce qu'il appelle un concept « fourre-tout » et d'autres, comme Swartz, Turner, Toden, choisissent de l'ignorer systématiquement bien qu'ils explorent un domaine, l'anthropologie politique, au sein duquel le concept de tribu jouait traditionnellement le rôle de maître mot. À ces critiques d'ordre théorique s'ajoutent un malaise et de violentes attaques contre l'usage idéologique de ce concept sous la forme dérivée et cousine de celui de «   tribalisme ». L'existence d'organisations tribales en Afrique, en Amérique, en Océanie, en Asie semble en effet responsable des difficultés que rencontrent de jeunes États-nations dans leur développement économique et politique, et dans la conquête de leur indépendance. L'existence de vestiges plus ou moins vivaces d'organisations tribales précoloniales fournirait les raisons d'événements aussi dramatiques que la guerre du Biafra, la révolte des Mau-Mau, la dissidence des Touaregs ou des tribus « animistes » du sud du Soudan, la décadence des Indiens d'Amérique du Sud.

L'enjeu ici, comme l'a montré Jomo Kenyatta (Au pied du mont Kenya), n'est pas seulement d'interpréter le monde, mais d'agir sur ses contradictions, de le transformer à partir d'une analyse exacte. Or, nombreux sont les anthropologues[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études de classe exceptionnelle à l'École des hautes études en sciences sociales

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Médias

Enfants-soldats au Soudan - crédits : John Downing/ Getty Images

Enfants-soldats au Soudan

Société lignagère : organisation politique territoriale et parenté - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Chefferie polynésienne : organisation politique territoriale et parenté - crédits : Encyclopædia Universalis France

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