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TRIESTE, ville néo-classique

Dans le jardin lapidaire de l'antique colline de San Giusto qui domine le port de Trieste, un reposoir en forme de cella abrite le cénotaphe élevé à la mémoire de Winckelmann, œuvre d'un élève de Canova. Trieste connut dans l'Europe des Lumières un instant de célébrité, en 1768, au moment de l'assassinat du fondateur de l'histoire de l'art comme discipline moderne, véritable apôtre du courant néo-classique. Mais c'est sa situation de ville des confins, où « la langue italienne finit insensiblement », comme l'écrit en 1774 Bergeret, qui explique paradoxalement la prospérité de Trieste et l'unité de son cadre urbain. Dotée par les Habsbourg du statut de port franc dès 1719, à l'exemple de Livourne, et de lois de tolérance religieuse et de liberté d'échanges, la cité devait attirer migrants levantins et germaniques, aventuriers du capital et des routes maritimes, voyageurs (comme le piranésien Cassas venu « dessiner le portrait de la ville » en 1782 ou l'architecte Schinkel en 1803), ainsi que de riches exilés ; elle devait aussi éveiller l'appétit des envahisseurs menés par Bonaparte. On comprend la remarque du général Desaix en 1797 : « C'est une ville presque toute neuve. Dans dix ans, elle a augmenté d'un tiers. » Cette union de Mercure et d'Apollon, élément du décor sculpté de plusieurs façades de la ville, est le fruit de la politique économique et administrative de Vienne et témoigne du goût nouveau d'une société mercantile pour le décor monumental. La petite cité bloquée au pied des roches du Karst devient au milieu du xixe siècle un centre de trafic international.

Le développement urbain répond aux rythmes de croissance d'une véritable colonie : à l'ouest de la cité médiévale, le tracé orthogonal (superposé à d'anciennes salines) du borgo teresiano, le faubourg de Marie-Thérèse, percé en son centre du Grand Canal, port moderne à la forme quasi unique. Puis, à l'est, le borgo giuseppino et, au nord-est, le borgo franceschina étirant au bord du rivage un front de palais à colonnes. D'abord issues d'un plan type fourni par l'administration, les maisons de négoce, contenant bureaux et entrepôts, par leur régularité un peu monotone et leur disposition de marchandises rangées, participent peut-être de ce « néo-classicisme aquatique, typique des villes sur la mer » dont parle Jacques Gubler et qui semble rapprocher Trieste de Bordeaux, Saint-Pétersbourg, Helsinki ou Glasgow. Envoyé comme consul à Trieste en 1830, Stendhal s'exclame « mais cette ville est Hambourg ! », remarquant « des maisons énormes, fort hautes et cependant à trois étages seulement, mais pas le moindre ornement d'architecture. Quand ce pays a fait fortune, vers 1818, l'architecture n'était pas à la mode ». En concédant que le « pavé des rues est le plus beau d'Europe », Stendhal semble souligner que c'est dans l'urbanisme plus que dans l'architecture que s'exprime avec succès le rationalisme des Lumières. En dépit des « éventrements » de la période fasciste, Trieste a échappé aux grands schémas directeurs qui prétendaient réveiller une ville endormie dans son passé.

À Trieste, le néo-classicisme est sous l'influence persistante d'une architecture viennoise au baroque calme ; ce nouveau langage formel vient plutôt de Milan ou de Rome et non des grands exemples britanniques ou français. Même dans ses matériaux (la pierre blanche d'Istrie, les briques et les enduits jaunes ou ocre-vert) et dans son vocabulaire ornemental un peu raide, l'architecture reste provincialement « mitteleuropéenne ». Il est révélateur que les principaux architectes de la période appartiennent à la culture d'influence germano-italienne : Matteo Pertsch, né sur le lac de Constance, est[...]

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Écrit par

  • : historien de l'art, chargé de mission à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites

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