TRINITÉ
La victoire de la christologie du Logos
La difficulté de concilier le modalisme avec les nombreux passages des Évangiles où Jésus dialogue avec le Père allait finalement donner la victoire à la christologie du Logos.
À la « monarchie » des modalistes, qui confond le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Tertullien (vers 160-vers 225) oppose la « règle de foi » traditionnelle, selon laquelle le Fils procède du Père et envoie à son tour l'Esprit. Ainsi, l'unité divine comporte une « économie » – un développement et une organisation internes –, donc une certaine pluralité.
Pour écarter tout soupçon de dithéisme, Tertullien affirme d'emblée l'unité de la substance divine. Le terme « substance » est pris dans son sens stoïcien : c'est l'étoffe dont les choses sont faites ; ici, c'est la matière constitutive de Dieu. Cette unité n'est pas ramassée avarement sur elle-même : en vue de la création, elle se déploie et s'organise, sans division ni opposition, en la trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Pour exprimer cette pluralité, Tertullien emploie le mot persona qui peut signifier le masque, le rôle, le sujet personnel. En ce dernier sens, Tertullien dit du Père, du Fils et du Saint-Esprit qu'ils sont trois « personnes ».
Comme ses prédécesseurs, Tertullien s'intéresse surtout à la relation du Fils au Père. Le Fils, qui est la Parole du Père, lui est consubstantiel. Mais cette Parole n'est pas éternelle : le Père la profère en vue et au moment de la création. En outre, le Fils n'est qu'une portion de la substance divine dont le Père est la totalité. Aussi peut-il se rendre visible, ce qui est incompatible avec la transcendance du Père.
Avec l'Alexandrin Origène (vers 185-apr. 250), le platonisme remplace le stoïcisme comme philosophie de référence. Alors que Tertullien part de l'unité de la substance divine, Origène commence par la trinité des hypostases. Mais ce qu'il écrit de l'hypostase du Père revient à un traité sur le Dieu unique. Ce Dieu est l'Être ; il est un ; il est étranger à toute matière et à tout affect ; il est incompréhensible. Seul inengendré, il est la cause de tout ce qui est venu à l'existence. Origène retrouve ce Dieu des philosophes dans la Bible, dont il interprète allégoriquement les anthropomorphismes.
Ce Dieu incompréhensible devient intelligible dans son Logos, qui est l'idée des idées, la vérité et la puissance éternelles du Père. Ce Logos est une hypostase : il est doué d'une existence personnelle. Origène écarte l'idée d'un partage de la substance divine, incompatible avec l'immatérialité de Dieu. La génération du Fils est toute spirituelle. Elle est éternelle : comment Dieu ne se serait-il pas donné dès le début le bien qu'il voulait ? Il n'y a donc pas eu un moment où le Fils n'était pas. Il est fils par nature et non par adoption. Aussi y a-t-il, entre le Père et le Fils, unité de substance, d'ousia. Le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais deux hypostases. Toutefois, cette unité de substance n'entraîne pas l'égalité des personnes. À la différence du Père, le Fils a une cause, et, comme il enveloppe toutes les formes, il n'est pas absolument simple. Première étape sur la voie qui mène de l'un au multiple, il apparaît comme un « second Dieu ».
Le Saint-Esprit, première production du Père par le Fils, est lui aussi une hypostase divine. Ces trois hypostases n'en sont pas moins clairement hiérarchisées par Origène : l'action du Père s'étend à tous les êtres, celle du Fils aux seuls êtres raisonnables, celle de l'Esprit se borne aux saints, c'est-à-dire à l'Église.
L'influence de Tertullien dans l'Occident latin et celle d'Origène dans l'Orient grec assurent[...]
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Écrit par
- Hervé SAVON : docteur ès lettres, professeur à l'Université libre de Bruxelles
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