TZARA TRISTAN (1896-1963)
Quels que puissent être le mérite de ses choix ultérieurs et souvent la haute qualité des œuvres qui les ponctuent (ainsi L'Homme approximatif, 1931, de tous les poèmes dus au surréalisme le plus parfait sans doute, par son ampleur, son souffle soutenu, avec ses laisses incantatoires, ses ruptures de rythme, son mouvement de fleuve charriant des mondes, les engloutissant dans ses rapides pour les restituer méconnaissables sur ses eaux calmes, poème épique et cosmogonique qui est aussi la geste d'un individu présent au siècle et à soi-même, en proie à sa pensée, sa sensibilité, ses angoisses), Tzara restera l'inventeur de Dada, entreprise de démolition des arts, de la poésie et de la culture établie, unique aussi loin qu'on remonte la marche des idées, audacieuse tentative d'instauration d'une révolution permanente de l'esprit.
De Dada au surréalisme
Tout commence à Zurich en février 1916. Élève de philosophie et mathématiques à Bucarest (il est né à Moinești, en Roumanie, le 16 avril 1896), il a quitté son pays l'année précédente. Avec d'autres réfugiés de diverses nationalités (son ami roumain Marcel Janco, Hans Arp, Richard Huelsenbeck), il participe aux soirées d'un cabaret, le cabaret Voltaire, ouvert par un réfractaire allemand, Hugo Ball, homme de théâtre et écrivain. D'abord marqués par la « modernité » sous tous ses aspects (Blaise Cendrars et Marinetti, Modigliani et Picasso...), les spectacles de cabaret, puis la Revue dada qui en naît bientôt vont, entraînés par Tzara, rompre définitivement avec l'avant-garde littéraire et artistique. Sous sa plume, le « Manifeste dada 1918 » (dans Dada 3 qui porte en exergue sur sa couverture une phrase de Descartes : « Je ne veux même pas savoir qu'il y a eu des hommes avant moi ») vitriole toutes les valeurs et lance l'appel à la subversion totale, soutient la prééminence de la vie et de l'acte sur les arts et les idées, invite à jeter bas les idoles et tend sur l'Europe revenue à la paix, une paix baignée de sang et de boue, le cordon Bickford de Dada : « ... Dada ne signifie rien [...] Je suis contre les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n'en avoir aucun [...] Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer [...] Abolition de la mémoire : DADA ; abolition de l'archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA [...] Liberté : DADA, DADA, DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE. » Le ton, la scansion des manifestes de Tzara, est trouvé : langue heurtée, rocailleuse, abstractions prenant corps sous le fouet d'images concrètes, langue toujours portée à la plus haute intensité, à hurler dans la tempête pour dominer les vents furieux. Tzara étend son doute à des domaines qui en étaient préservés : l'art (tous les arts), la poésie, substituts de Dieu et des religions et qui, par là, échappaient encore aux blasphèmes et à la négation. Après sa rencontre à Zurich en 1918 avec Francis Picabia, contempteur sans égal de toutes les croyances et proto-dada à New York dès 1915-1917, Tzara ajoutera au doute du Dada originel un pessimisme enveloppant philosophies et sciences en leur intégrité. Ce pessimisme absolu sera la marque de Dada à Paris où Tzara s'installe, à l'invitation de Picabia, en 1920. Pessimisme hilare qui joue avec les décombres. Un seul – et c'est un peintre : Picasso – peut être comparé à Tzara pour ce joyeux saccage des formes d'où surgit une vision neuve, plaisir de voir se créer des mondes inconnus, ruines qui se reconstruisent en des associations inédites et qui sans cesse bougent, éclatent, s'affrontent, s'unissent, dansent, vertigineuses. Tzara[...]
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Écrit par
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