Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

TROIS CONTES, Gustave Flaubert Fiche de lecture

Saint Flaubert, écrivain et martyr ?

Si chacun de ces récits a fait l’objet d'études spécifiques (particulièrement Un cœur simple), les Trois Contes ont rarement été abordés dans leur ensemble. Il est vrai que la constitution d’un recueil n’était à l’évidence pas l’objectif premier de Flaubert. Si l’idée s’en est progressivement imposée à lui, il semble que cela ait été avant tout pour des raisons éditoriales et pour tout dire matérielles (« … cela me ferait trois contes, de quoi publier à l’automne un volume assez drôle »). De fait, l’impression première est celle d’une grande hétérogénéité, entre la biographie d’une femme du peuple dans la France provinciale du xixe siècle, un récit hagiographique médiéval et l’adaptation d’un épisode biblique. Au reste, cet éclectisme se retrouve dans toute l'œuvre de Flaubert, et l’on n’a pas manqué de noter la concordance entre ces trois nouvelles et les « grands romans ». La légende de saint Julien, associée au souvenir d'un vitrail d’une petite église vu dans son enfance, s’inscrit dans un attrait plus large pour le Moyen Âge dont témoigne La Tentation de saint Antoine(1874). La veine réaliste d’Un cœur simple est davantage celle de Madame Bovary, même si, pour répondre à une demande de sa grande amie George Sand, Flaubert, sans renoncer à l’impératif d’« impersonnalité », pierre angulaire de son « art poétique », y entend, sans la moindre ironie, « apitoyer, faire pleurer les âmes sensibles ». Hérodias, enfin, vient rappeler, à la suite de Salammbô(1862),sa fascination pour le monde antique et oriental, née peut-être en 1849 lors du voyage en Orient avec Maxime Du Camp. Ajoutons que ces trois sources d’inspiration sont elles-mêmes à resituer dans le contexte culturel du temps : intérêt naturalistepour la réalité sociale contemporaine, goût romantique pour les légendes médiévales, références parnassiennes et symbolistes au monde oriental et/ou antique, notamment biblique. La lecture du recueil n'en révèle pas moins une certaine unité. Unité générique d'abord, comme semble le suggérer le titre. Certes, à une époque où le récit bref connaît un succès considérable, en partie en raison de l’essor de la presse, les termes servant à le désigner – conte, nouvelle, histoire… – tendent à se confondre dans l'usage. Certaines caractéristiques du conte au sens restreint et traditionnel du terme n’en sont pas moins repérables ici, quoique inégalement et sur des modes différents : présence sinon du merveilleux à proprement parler du moins du surnaturel ; voix perceptible d’un conteur, à la fin de Saint Julien mais peut-être aussi, quoique moins nettement, dans Un cœur simple ; fin « heureuse », faisant office de moralité, manifeste dans les deux premiers récits, conjointe dans Hérodias avec la venue du Messie.

L'arrière-plan religieux est également commun aux trois contes, qu'on a pu lire comme un triptyque de la sainteté, Félicité, saint Julien et saint Jean-Baptiste (même si ce dernier n'est pas à proprement parler le héros d'Hérodias) finissant par se délivrer d'une fatalité accablante pour connaître une forme d’assomption et de transfiguration. D'où le parallèle tentant avec Flaubert lui-même : si celui-ci entreprend Saint Julien dans des circonstances particulièrement difficiles – graves problèmes financiers, échecs littéraires répétés, panne de Bouvard et Pécuchet... –, la correspondance atteste, au fur et à mesure de la rédaction des trois nouvelles, un dépassement progressif de cette sombre réalité jusqu’à une véritable délivrance dans et par l’écriture et le polissage infini du texte (« Jamais je ne me suis senti si d'aplomb »).

Car c’est évidemment dans le travail du style que les Trois[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • FLAUBERT GUSTAVE (1821-1880)

    • Écrit par
    • 9 824 mots
    • 1 média
    ...quelques semaines en compagnie de son ami le naturaliste Pouchet. Il annonce qu'il vient sans plume ni papier, mais, huit jours plus tard, il a commencé La Légende de saint Julien l'Hospitalier, qui, comme La Tentation, est un très vieux projet déjà travaillé en 1856, mais qui remonte au moins à...
  • MANUSCRITS - La critique génétique

    • Écrit par
    • 13 229 mots
    Ainsi, pour lesTrois Contesde Flaubert – dont les brouillons étaient disponibles depuis longtemps –, le classement et la transcription intégrale des manuscrits ont, récemment, permis de réviser du tout au tout l'avis traditionnel des spécialistes. En 1957 (Trois Contes, édités par R....