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TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE (A. Desplechin)

C’est, en 1996, avec Comment je me suis disputé...(ma vie sexuelle)que le personnage de Paul Dédalus fait son apparition dans l’œuvre d’Arnaud Desplechin : figure hybride, qui emprunte tout à la fois au Stephen Dedalus imaginé par James Joyce, à l’Antoine Doinel de François Truffaut et à Desplechin lui-même. Quelque vingt ans après, voici Trois Souvenirs de ma jeunesse (2015), qui nous révèle, à la manière d’une préquelle, ce que fut la vie de Paul avant sa mystérieuse dispute avec Favier. Mais Trois Souvenirs de ma jeunesse possède aussi sa propre identité, indépendamment de toute référence à Comment je me suis disputé

Une histoire de doubles

Le film est constitué de trois récits. Trois flash-back, de longueur parfaitement inégale et qui, à l’exception du personnage de Paul, semblent au premier abord n’avoir rien en commun tant sur le plan thématique que stylistique. Pourtant, dès le prologue, le film se place sous le signe de l’initiation, via LOdyssée : « le bel Ulysse rentre à Ithaque », lance à Paul sa compagne qu’il s’apprête à quitter après quelques années de missions anthropologiques en Asie centrale. Là-bas, Paul a « étudié l’homme ». Il plonge maintenant en lui-même, et murmure : « Je me souviens... »

Le premier épisode – souvenir ou rêve ? – conte l’aventure primordiale de « L’Enfance », marquée par le conflit violent avec une mère aussi peu aimante que peu aimée. Tel un chevalier, dans une atmosphère d’heroicfantasy ou de film d’horreur, Paul, couteau à la main, défend sa chambre contre l’intrusion maternelle. Ce bref épisode familial est ramené à ses structures élémentaires et fantasmatiques. Paul rejette son identité biologique (d’autant que bientôt sa mère meurt) et élit sa vraie famille : son frère, sa sœur, et sa tante Rose (Françoise Lebrun) qui vit avec une exilée russe... C’est fort logiquement que, dans le deuxième épisode du film (« Russie »), Paul a des problèmes d’identité : à son retour en France, il se voit opposer l’existence, en Australie, d’un autre Paul Dédalus... Il se souvient alors d’un voyage scolaire à Minsk au cours duquel, avec son camarade Zylberberg, il a remis de l’argent à une organisation de « refuzniks » juifs et surtout offert son passeport à un garçon de son âge pour qu’il puisse gagner Israël. Paul, non juif, a agi par amitié et solidarité, rejetant du même coup symboliquement une origine juridiquement attestée. « Vous étiez mort et vous voilà vivant », commente ironiquement l’agent de la D.G.S.E. (André Dussollier), après lui avoir annoncé le décès de l’« autre » Dédalus à peine ressurgi. Désormais, Paul s’interrogera : est-ce lui ou son double qui est encore en vie ?

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

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