TROIS TRISTES TIGRES, Guillermo Cabrera Infante Fiche de lecture
Publié en 1962 sous le titre de Vista del amanecer en el trópico, le livre de Guillermo Cabrera Infante (1929-2005) remporte en 1964 le prix Biblioteca Breve, décerné par la maison d'édition catalane Seix Barral. Il va devenir un des ouvrages emblématiques du « boom » que connaît la littérature latino-américaine dans les années 1960 et, au fil des ans, un des romans les plus représentatifs de la littérature cubaine de l'exil. Cabrera Infante, qui vit à Londres depuis 1965, le rebaptise Trois Tristes Tigres en 1967, remaniant profondément la version de 1964 qui avait subi des coupures imposées par la censure espagnole.
Le livre des nuits blanches
« Ce livre est écrit en cubain. C'est-à-dire dans les divers dialectes que l'on parle à Cuba et l'écriture n'est qu'une tentative pour saisir au vol, comme on dit, la voix humaine. Les différentes formes du cubain se fondent ou du moins je crois qu'elles se fondent en un seul langage littéraire. On y trouve cependant, comme un accent dominant, le parler des Havanais et en particulier l'argot nocturne qui, comme dans toutes les grandes villes tend à être une langue secrète. » Ces lignes, extraites de l'avertissement de Trois Tristes Tigres, soulignent d'emblée que la trame de ce « texte » (Cabrera Infante a toujours refusé pour son livre la dénomination de « roman ») est essentiellement orale, tissée d'idiotismes et saturée d'un humour tonique et décapant, dans la mesure où, comme le dit un des personnages, « [à Cuba] on doit toujours donner aux vérités un tour humoristique pour qu'on les accepte ».
Trois Tristes Tigres n'a pas vraiment de « sujet » et, comme le Tristram Shandy de Sterne, donne l'impression qu'il pourrait se prolonger à l'infini. Les narrateurs se multiplient ; les séquences se juxtaposent en gardant une relative autonomie. Fasciné, irrité parfois par une telle virtuosité, le lecteur attend le « numéro » suivant. Il est donc normal que ce roman-spectacle, qui s'ouvre avec le discours d'un présentateur de cabaret, se déroule dans une Havane crépusculaire et nocturne, qui est celle des derniers mois de la dictature de Batista. Passant d'un club à un bar, d'une chambre d'hôtel au siège d'une automobile, les personnages, réduits à des voix, évoluent, « en parlant ou en chantant », dans une atmosphère surchauffée. La distinction entre les genres est abolie : dans Trois Tristes Tigres, littérature et chanson populaire, métaphysique et cinéma se côtoient. Faulkner voisine avec Groucho Marx, Joyce avec Abott et Costello, Lewis Carroll avec Libertad Lamarque, Mark Twain avec Beny Moré. Chanteurs, prostituées, travestis, musiciens, photographes, journalistes, animateurs de télévision, touristes nord-américains en mal d'exotisme parcourent La Havane en jouant avec les mots et les sons. Ces pérégrinations « métaréelles », comme dit un personnage, constituent, à la manière des promenades de Borges dans Buenos Aires, un adieu nostalgique à une jeunesse et à un monde en voie de disparition. Mais elles ont également la turbulence sulfureuse du Satiricon, dont ce livre est, selon son auteur, « une traduction ratée ».
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Autres références
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CABRERA INFANTE GUILLERMO (1929-2005)
- Écrit par Albert BENSOUSSAN
- 718 mots
Le romancier Guillermo Cabrera Infante est né en 1929 à Gibara, dans la province d'Oriente, au sud-est de l'île de Cuba, à un jet de pierre de la Sierra Maestra d'où partira par la suite la révolution castriste, à laquelle il prendra part. Compagnon de la première heure, il est d'abord nommé en 1959...