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TROPISMES, Nathalie Sarraute Fiche de lecture

Nathalie Sarraute - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Nathalie Sarraute

Lorsqu'en 1939 paraît chez Robert Denoël un livre intitulé Tropismes, en référence à la biologie scientifique, personne ne le remarque, sauf deux écrivains : Max Jacob et Jean-Paul Sartre. C'est le premier ouvrage de Nathalie Sarraute, auteur de trente-neuf ans. Elle pense qu'on « ne doit écrire que si l'on éprouve quelque chose que d'autres écrivains n'ont pas déjà éprouvé et exprimé ». Dans les dix-neuf très courts textes qui composent Tropismes (ils seront vingt-quatre lors de la réédition en 1957), elle explore une matière totalement neuve, si originale qu'il lui a fallu cinq années pour l'élaborer, de 1932 à 1937, et qu'il faudra plusieurs décennies pour que cet objet littéraire soit reconnu par le public et la critique.

Fragments d'intériorité

L'auteur s'attache à saisir des manifestations infimes du moi, à transformer en langage les vibrations, les tremblements du « ressenti », les mouvements intérieurs produits sous l'effet d'une sollicitation extérieure, « des mouvements ténus, qui glissent très rapidement au seuil de notre conscience » et se déroulent comme de véritables « actions dramatiques intérieures ». Ces Tropismes se traduisent sous forme de dialogue, de gestes, ou, plus intimement, de monologue intérieur. Ce que Nathalie Sarraute traduit en mots qui se cherchent, séparés par des points de suspension, ponctués d'interrogations, répétés dans l'exploration des variations de la tonalité, ce sont les éléments originaires, les mécanismes de la conscience antérieurs à l'expression, les relations souvent violentes qui s'établissent entre les personnes à travers des petits riens, des paroles, des effleurements, des regards, anodins en apparence seulement, aussi difficiles à saisir que cette « masse molle et étouffante » qui oppresse un enfant, dans le VIIIe Tropisme.

Il s'agit d'un petit enfant, d'« une petite chose vivante tendre et confiante ». Il se promène dans la rue avec son grand-père. Il faut « faire bien attention, très attention, de peur d'un accident, en traversant le passage clouté », ne cesse de recommander l'adulte, tout en tenant bien serrée la main de l'enfant. Nathalie Sarraute n'analyse pas, ne juge pas. Elle crée un malaise profond par des rapprochements brutaux, la mise en rapport de menaces extérieures (le risque d'être écrasé par une voiture) et de désirs qu'elle ne qualifie pas (le grand-père doit se retenir « pour ne pas écraser les minuscules doigts ») : c'est ici la répétition du verbe « écraser » qui produit l'effroi. La violence surgit à travers des mots, des phrases dont l'apparente sécheresse fait écho aux sensations les plus intimes éprouvées par chacun. Dans un paragraphe – très court si on le rapporte à un dialogue normal, très long si on prend en considération la longueur totale du texte –, le grand-père évoque l'éventualité de sa mort prochaine et celle, ancienne, de sa propre mère. Ses phrases en apparence banales résonnent comme un tourment cruel infligé à l'enfant, d'autant plus sensible au lecteur qu'à travers l'anonymat du personnage chacun peut se reconnaître.

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Nathalie Sarraute - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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