TROTSKI LÉON (1879-1940) ET TROTSKISME
Théoricien marxiste, président du soviet de Pétersbourg en 1905, numéro deux de la première révolution prolétarienne victorieuse, homme d'État du refus de la diplomatie secrète, créateur ex nihilo de la formidable Armée rouge, écrivain fulgurant (et premier critique littéraire marxiste digne de ce nom), puis à nouveau militant exilé faisant front presque seul à toutes les puissances du monde, à contre-courant de la période, Trotski, plus qu'aucun autre homme politique, a dressé sur le siècle une stature propre à cristalliser la ferveur et la haine. La grandeur et le tragique de sa vie tentent maintenant le dramaturge qui y voit un « destin », surtout au-delà de ce « minuit dans le siècle », période de réaction bipolarisée par le fascisme et le stalinisme, qui faisait de Trotski le diable de la négativité absolue, celui que l'on ne jugeait plus sur ses actes et ses œuvres, mais sur ce qu'il symbolisait, ici le « bolchevik juif », là l'opposant, l'homme du refus.
Plus de trente ans après son assassinat, Trotski commence à se dégager des brumes blanches ou noires de la légende et à apparaître ce qu'il fut : un révolutionnaire complet, autant homme de pensée que d'action, qui, plus heureux que Marx et Engels, put vérifier dans la pratique l'exactitude de ses théories ; plus heureux que Lénine, ne subit de momification ni de son corps ni – pire – de son enseignement, et, au prix le plus lourd (les cadavres des siens, surtout de ses quatre enfants, jonchant le chemin d'une vie de lutte impitoyable, bouclée par le coup de piolet qui lui défonça le crâne), réalisa un type humain qui esquisse l'homme à venir.
Plus que l'énergie indomptable, la hauteur du caractère, les capacités de travail et la hardiesse de la pensée, ce qui a frappé en Trotski, c'est sa faculté de prévision qui a amené son principal biographe à le qualifier de « prophète ». Prophète, Trotski ne l'est que très rationnellement, en tant qu'il fut, après Marx et Engels, un des plus remarquables utilisateurs de leur méthode.
Mais que reste-t-il de son œuvre ? Un demi-siècle durant, les novateurs politiques qui fleurissent chaque matin et se fanent à jamais le soir même se sont partagés entre ceux qui n'y voyaient que séquelles d'un marxisme dépassé (Octobre n'étant que l'achèvement de l'ère ouverte par 1848), un utopisme en somme, et ceux qui la réduisaient à une opposition conjoncturelle au stalinisme, qui devait disparaître avec celui-ci. Les lendemains de la « déstalinisation », les révolutions coloniales et la poussée des années soixante obligent à reconsidérer ces appréciations. La faillite du stalinisme (confirmée en Chine) voit la résurgence du trotskisme aussi bien en Europe que dans les pays sous-développés, et même dans les États du socialisme bureaucratique. Les organisations de la IVe Internationale dépassent de plus en plus le stade des groupes de propagande.
Peut-être faudra-t-il constater que Trotski et le trotskisme sont l'expression la plus jeune et la plus vivante du marxisme : celui de notre temps.
Trotski
La formation « classique » d'un social-démocrate russe
Lev Davidovitch Bronstein (qui devait devenir Trotski en 1902, par le hasard d'un faux passeport) est né le 26 octobre [7 nov.] 1879 à Ianovka, village perdu dans les steppes du gouvernement de Kherson, en Russie du Sud, au sein d'une famille juive de paysans moyens. Il connaît une enfance grise, sans grande tendresse, dans les années où s'élèvent les dernières flammes du terrorisme « populiste » de la Narodnaja Volja (la Volonté du peuple). À neuf ans, on l'envoie mener ses études à Odessa. Il se révèle immédiatement un élève brillant, mais auquel le sens de la fraternité, l'hypersensibilité à l'injustice, à l'hypocrisie, à la mesquinerie[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel LEQUENNE : ancien chef correcteur de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Médias
Autres références
-
ANTONOV-OVSEÏENKO VLADIMIR ALEXANDROVITCH (1884-1938)
- Écrit par Claudie WEILL
- 421 mots
Fils d'officier, Antonov-Ovseïenko entre à l'école des cadets de Voroneje. Il quitte l'armée, adhère dès 1901 au mouvement révolutionnaire et se rapproche des mencheviks en 1903. Lors de la révolution de 1905, il est l'un des experts militaires de la social-démocratie russe. Il essaye de soulever...
-
ARMÉE ROUGE, URSS
- Écrit par Georges HAUPT
- 584 mots
- 1 média
Après la révolution d'Octobre, le Conseil des commissaires du peuple adopte un décret concernant l'armée : tout le pouvoir est confié aux soviets et aux comités militaires, le commandement devient éligible et une armée permanente de volontaires est instaurée. Entre le 15 et le 28 janvier 1918 est...
-
BENSAÏD DANIEL (1946-2010)
- Écrit par Willy PELLETIER
- 957 mots
Daniel Bensaïd eut plusieurs vies, chacune recomposant l'autre, en la continuant. Né le 25 mars 1946 à Toulouse, il est mort le 12 janvier 2010 à Paris. Philosophe militant révolutionnaire, théoricien du mouvement trotskiste, il est l'une des rares incarnations du soixante-huitard resté...
-
BOLCHEVISME
- Écrit par Georges HAUPT
- 7 595 mots
- 6 médias
...artisan de sa réorganisation, et saura en faire un instrument efficace et discipliné, selon le modèle défini dès 1902. Dans le même temps, l'adhésion de Trotski et de ses amis renforça son état-major. D'adversaire redouté, Trotski devient le brillant second de Lénine et l'organisateur des journées d'Octobre.... - Afficher les 35 références