TROUBLES DES CONDUITES ALIMENTAIRES
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Étiopathogénie
L’histoire de l’anorexie mentale s’est accompagnée de changements radicaux quant à la compréhension de son étiologie, et donc des traitements proposés. Les théories psychogéniques, dominées par les concepts psychanalytiques, ont prévalu pendant la plus grande partie du xxe siècle. Dans les années 1960, l’accent a été mis sur le rôle possible de la dynamique familiale, puis sur l’influence des facteurs socioculturels. À partir des années 1990, les études d’agrégation familiale, les études de jumeaux, comme les études d’imagerie cérébrale, ont généré de nouveaux modèles neurobiologiques tentant de décrypter l’origine des TCA. Ces derniers sont désormais considérés comme des troubles complexes d’origine biopsychosociale, résultant de l’interaction d’une variété de facteurs de vulnérabilité, de facteurs déclenchants et de facteurs de maintien.
Facteurs psychopathologiques
Des études longitudinales prospectives suggèrent qu’un certain nombre de traits de personnalité sont des facteurs prédisposant aux TCA : perfectionnisme, rigidité, attitude d’évitement du danger, traits de caractère obsessionnels compulsifs, alexithymie. Des études d’agrégation familiale indiquent notamment un risque familial partagé entre la personnalité obsessionnelle compulsive et l’anorexie mentale.
La recherche sur l’attachement a mis en évidence une relation entre les formes d’attachement dites « insécures » et le risque de TCA : un attachement de type anxieux est associé à la sévérité des symptômes alimentaires et à une mauvaise réponse au traitement, tandis qu’un attachement de type évitant peut conduire à l’arrêt prématuré de celui-ci.
Le modèle psychanalytique des TCA postule que, pour les personnes souffrant d’anorexie mentale, les interactions précoces et le processus de séparation-individuation de la petite enfance ont été dysfonctionnels, entraînant une construction du moi en « faux self » (dépendance au regard des autres, « enfant modèle »). Pour le psychiatre français Philippe Jeammet, l’adolescence joue un rôle de révélateur de la problématique de la dépendance, en créant un antagonisme entre la sauvegarde narcissique (sauvegarde de l’identité, de l’estime de soi) et la lignée objectale pulsionnelle (l’appétence relationnelle et le besoin de créer de nouveaux liens et investissements). Cette situation aboutit à un paradoxe dont les TCA sont le paradigme : « Ce dont j’ai besoin, parce que j’en ai besoin et à la mesure de ce besoin, c’est ce qui me menace. » Les personnes souffrant d’anorexie mentale tentent de se prouver que l’objet ne saurait leur manquer puisqu’elles sont capables de tirer de la satisfaction de la non-satisfaction de leurs besoins. Le contrôle de la corpulence prend rapidement la forme d’un engagement personnel qui évolue de façon extrême (phénomène de déni, refus de soins). On observe un surengagement général (dans le cadre de l’activité physique, à l’école, au travail…). Le TCA devient une néo-identité.
Un modèle cognitivo-comportemental a été développé par le psychiatre britannique Christopher Fairburn. Son postulat de base est que le développement et le maintien d’un TCA reposent sur un système de croyances dysfonctionnel : les personnes souffrant de TCA évaluent leur propre valeur largement, voire exclusivement, sur leurs comportements alimentaires, leur poids et la forme de leur corps. Le contrôle de la prise alimentaire et la perte de poids sont activement recherchés, et tout manquement aux règles est vécu comme un échec et peut déclencher une crise de boulimie. Entrent également en jeu l’intolérance aux états émotionnels intenses et les difficultés interpersonnelles. Ce modèle s’applique aussi bien à l’anorexie mentale qu’aux troubles du spectre boulimique ; il est à l’origine de la thérapie cognitivo-comportementale[...]
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Écrit par
- Martine FLAMENT : psychiatre, professeure adjointe à l'université d'Ottawa, Ontario (Canada), ex-chercheuse à l'Inserm, Paris
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Médias