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TROUBLES SEXUELS

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La notion de troubles sexuels suppose, pour être explorée, qu’on puisse définir ce que serait une sexualité normale, ce dont la psychiatrie, désormais, semble avoir renoncé à se mêler, tant sont divers les fantasmes, pratiques, jeux, variantes qui, lorsqu’ils sont ludiques et occasionnels, ne sont en aucun cas synonymes de déviance ou de « perversion » (termes aujourd’hui remplacés par celui de « paraphilie », plus médical et moins moralisateur).

Il s’agit donc, ici plus qu’ailleurs, de ne pas restreindre la notion de norme à la majorité statistique. Comportements minoritaires, fantasmes et pratiques aux confins de la norme sont autant de domaines qui peuvent se juxtaposer et dont les frontières sont bien difficiles à établir avec un degré suffisant de certitude ou de validité scientifique. La sexualité humaine présente cette particularité d’être dépendante, au moins pour accéder à une richesse et une intensité, du psychisme et même de l’intelligence, en tout cas de l’imagination.

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Établi par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les années 1972-1975, le concept de « santé sexuelle » recouvre trois points fondamentaux :

– une capacité de jouir et de contrôler le comportement sexuel et reproductif en accord avec l'éthique personnelle et sociale ;

– une délivrance de la peur, de la honte, de la culpabilité, des fausses croyances et des autres facteurs psychologiques pouvant inhiber la réponse sexuelle et interférer sur les relations sexuelles ;

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– la santé reproductive, supposant une absence de troubles, de dysfonctions organiques, de maladies ou d'insuffisances susceptibles d'interférer avec la fonction sexuelle et reproductive.

Si ces trois points fondamentaux font partie, selon l'OMS, « des droits de l'individu et des devoirs de la société à leur égard », nous ne nous intéresserons dans ce chapitre qu’aux deux premiers, les troubles sexuels étant compris comme les entraves au plaisir sexuel, représentées par un certain nombre de dysfonctions, masculines comme féminines. La psychiatrie contemporaine définit ces dysfonctions, pour les deux sexes, comme « un groupe hétérogène de troubles qui se caractérisent typiquement chez une personne par une perturbation cliniquement significative de la capacité à répondre sexuellement ou à éprouver du plaisir sexuel », à la condition, naturellement, que cette perturbation ne soit pas liée à un manque de connaissance des stimulations efficaces : autrement dit, à une inexpérience ou un manque de savoir-faire du partenaire sexuel.

Pour être reconnue comme telle, une dysfonction sexuelle doit occasionner chez le sujet une souffrance cliniquement significative, ou encore des difficultés interpersonnelles. Mais elle ne doit pas être induite par un trouble psychologique ou psychiatrique, ni par une substance toxique ou médicamenteuse (il est évident que si un médicament altère l’érection, l’éjaculation ou la libido, on ne peut parler d’impuissance ou de frigidité).

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Les dysfonctions sexuelles comprennent notamment les troubles du désir sexuel (diminution, désintérêt voire aversion pour la sexualité), les troubles de l’excitation sexuelle, les troubles de l’orgasme et, enfin, les troubles sexuels accompagnés de douleurs chez la femme, parfois si intenses qu’elles peuvent empêcher la pénétration.

Notons que deux troubles sexuels définis par le DSM-5 n’ont pas été retenus ici, en raison de fondements scientifiques insuffisants : l’hypersexualité et l’addiction sexuelle. Nous n’envisagerons pas non plus, dans ce chapitre essentiellement physio-pathologique, les paraphilies (troubles de l’orientation sexuelle) et les troubles de l’identité sexuelle.

Les défaillances sexuelles masculines

Les dysfonctions sexuelles masculines présentent cette particularité d’être toutes plus objectives, en tout cas plus visibles, que les troubles sexuels féminins : la hantise de la « panne » d’érection, de l’éjaculation prématurée, retardée voire impossible, est connue de bien des hommes et a fait l’objet d’innombrables publications et travaux de recherche.

Trouble de l’érection

L’impuissance désigne l’état d’un sujet incapable de déclencher ou de maintenir une érection lors d’une masturbation ou d’une relation sexuelle – érection dont on sait qu’elle est un phénomène parfaitement involontaire, échappant au contrôle du sujet… mais en revanche particulièrement sensible à l’inhibition anxieuse, l’amorce du retour de la verge à la flaccidité étant perceptible par le sujet lui-même dès que l’inquiétude ou le doute effleure son esprit. Parmi les fonctions instinctuelles et les phénomènes physiologiques, l’érection fait sans doute partie des plus vulnérables, et peut être compromise, chez les sujets fragiles, par de nombreuses circonstances (changement de partenaire, de position, pensée parasite, anxiété de performance…). Le terme d’impuissance a progressivement été remplacé par celui, moins effrayant ou humiliant, de « dysfonction érectile », ou encore d’« instabilité érectile », à laquelle l’industrie pharmaceutique offre des réponses pharmacologiques, depuis l’avènement de la classe pharmaceutique des IPDE5 (inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5), dont le plus célèbre et le tout premier représentant est le Viagra®, la fameuse pilule bleue apparue à la fin des années 1980. La fréquence de survenue de ce trouble augmente avec l’âge : selon le DSM-5, 13 à 20 p. 100 des hommes de quarante à quatre-vingts ans se plaignent de troubles érectiles, contre seulement 2 p. 100 dans les tranches d’âge inférieures. Encore faut-il distinguer les problèmes récurrents des difficultés occasionnelles. L’appréhension de la perte d’érection est connue de bien des hommes : le DSM-5 estime à 20 p. 100 la proportion de ceux qui l’ont appréhendée avant ou au moment de leur premier rapport sexuel. Le scénario typique est celui d’une « panne » purement occasionnelle ou situationnelle, provoquant, chez un sujet anxieux ou en raison d’une incompréhension de la partenaire, l’anxiété anticipatoire de la survenue d’un nouvel incident. Ce que les sexologues appellent « l’attitude de spectateur » du sujet inquiet, scrutant son érection et donc plus égocentré, moins attentif aux stimuli érotiques ou aux réactions de sa partenaire, génère alors la répétition à la façon d’un véritable conditionnement négatif.

On distingue essentiellement les impuissances primaires, entravant les possibilités du sujet dès son entrée dans la sexualité, des impuissances secondaires, survenant chez un sujet n’ayant jusque-là jamais connu de difficulté particulière ou d’inhibition sexuelle. Dans les deux cas, le médecin doit en premier lieu pouvoir distinguer une cause physique, médicale (qui définirait alors une impuissance organique) d’une cause plus psychologique, définissant l’impuissance psychogène, bien plus fréquente. C’est essentiellement la disparition de l’érection matinale, quasi constante chez l’homme, et des érections nocturnes (ce que l’on peut vérifier par des enregistrements pléthysmographiques, mesurant les variations de volume de la verge pendant le sommeil) qui définit l’impuissance organique, qui doit alors faire l’objet d’un certain nombre d’explorations (endocriniennes, métaboliques, neurologiques, vasculaires, médicamenteuses…) pour en déterminer l’origine et y remédier lorsque cela est possible.

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Mais, dans une proportion bien plus grande de cas, les facteurs émotionnels sont au premier plan du tableau clinique et l’abord psychologique, rassurant, déculpabilisant, privilégiera les thérapies comportementales et/ou centrées sur la relaxation. Il s’agit de thérapies brèves, que l’on conduit idéalement avec un couple. La difficulté d’aider un homme sans partenaire au début de la prise en charge est réelle, mais peut parfois être contournée par des thérapies corporelles. La réponse médicale strictement pharmacologique (prescription de médicaments facilitateurs de l’érection) constitue une solution de facilité et, sans accompagnement psychologique, peut conduire le sujet à un quasi-désespoir et à un sentiment d’incurabilité en cas d’échec. Il est en effet essentiel de s’assurer que le sujet a bien pris conscience du conditionnement négatif installé à son insu, évoqué précédemment sous le nom d’attitude de spectateur. Il est non moins important de prendre en considération la ou le partenaire qui, dans certains cas, a pu jouer un rôle dans la survenue du symptôme. Ce rôle peut être involontaire (réaction inappropriée…) ou aller jusqu’à un véritable « sabotage », dont les raisons peuvent être multiples et débordent le cadre de la sexothérapie : en tant que mode de régulation des conflits, la sexualité peut aussi constituer un terrain propice aux règlements de comptes, et la thérapie de couple trouve alors sa pleine justification. C’est pour l’ensemble de ces raisons que les sexologues et les psychiatres, au contraire des urologues, plus prompts à la prescription médicamenteuse, demandent systématiquement à rencontrer la partenaire en consultation.

La prise en charge d’une impuissance (ou d’une dysfonction érectile) suppose donc, dans la quasi-totalité des cas, un abord psychologique.

Éjaculation prématurée (précoce)

La notion d’éjaculation précoce, ou prématurée, ne prend sens que dans la perspective d’une sexualité humaine, gratifiante pour les deux partenaires. Sous un angle éthologique, l’éjaculation très rapide est la norme puisqu’elle suffit à procréer. Elle concerne la majorité des adolescents lors de leur premier rapport sexuel, la maîtrise du réflexe éjaculatoire procédant d’un apprentissage, d’une rébellion contre la « pauvreté » de l’état naturel. Le DSM-5 définit l’éjaculation prématurée par sa survenue dans la minute suivant la pénétration vaginale. Il nuance cette définition arbitraire par la notion de maîtrise, en ajoutant que l’éjaculation survient « avant que la personne ne désire éjaculer ». C’est de fait l’absence de maîtrise qui devient insupportable à celui qui consulte pour ce symptôme. À la manière d’un véritable conditionnement, elle induit chez le sujet une anticipation anxieuse et une diminution des sensations orgastiques, l’intensité de l’orgasme masculin étant généralement accrue par la durée de la phase d’excitation. La sexologie ajoute à cette définition le critère essentiel de satisfaction du ou de la partenaire, l’éjaculation survenant dans au moins la moitié des rapports sexuels avant le plaisir de l’autre.

La fréquence de ce trouble est élevée puisque, selon le DSM-5, 20 à 30 p. 100 des hommes se disent préoccupés par la rapidité de leur éjaculation, cette fréquence illustrant à elle seule la bénignité du trouble, même si le diagnostic ne peut être posé que dans 3 p. 100 des cas si l’on prend en compte le critère temporel objectif (éjaculation dans la minute suivant la pénétration). La fréquence de survenue de ce trouble augmente avec l’âge, probable conséquence de l’espacement des relations sexuelles, la conservation de la maîtrise du réflexe éjaculatoire supposant une pratique régulière. Ces éjaculations prématurées d’apparition plus tardive sont dites « de type acquis », survenant généralement pendant ou après la quatrième décennie de vie, par rapport au type « de tout temps », désignant les éjaculations prématurées innées, chez des sujets, généralement anxieux ou phobiques, n’ayant pas réussi à faire cet apprentissage.

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En tout état de cause, la prise en charge est souhaitable dès qu’il existe une souffrance psychologique, l’éjaculation prématurée pouvant, par la perte de confiance et la diminution du plaisir qu’elle entraîne, s’accompagner d’une diminution du désir sexuel, voire d’une impuissance psychogène. Là encore, il est souhaitable que la thérapie implique le ou la partenaire.

Éjaculation retardée et anéjaculation

Le diagnostic du trouble d’éjaculation retardée suppose que la difficulté survienne « dans toutes ou presque toutes les occasions d’activité sexuelle (75 à 100 p. 100 des rapports sexuels) avec un ou une partenaire, sans que le sujet souhaite retarder l’éjaculation » (DSM-5). L’éjaculation peut être très tardive, voire impossible (anéjaculation), créant une frustration non seulement chez le sujet, mais aussi chez la ou le partenaire, qui se perçoit comme moins désirable ou incapable de susciter du plaisir. La durée objective n’est pas déterminée : le sujet ressentant une lassitude, ou la percevant chez la ou le partenaire, se décourage, ce qui entraîne une détresse à l’origine de la demande de consultation. Le trouble se caractérise également par le maintien de l’érection (sans lequel on ne peut parler de blocage éjaculatoire) et d’une absence de sperme dans l’urine lors de la miction suivant le rapport – la présence caractérisant l’éjaculation rétrograde, le sperme fusant vers la vessie lors de l’éjaculation et donnant un « orgasme sec », donc invisible.

Bien qu’il soit difficile d’évaluer la fréquence du trouble de l’éjaculation retardée en l’absence de définition précise ou objective, il s’avère bien moins fréquent que l’éjaculation prématurée : moins de 1 p. 100 des hommes se plaignent d’un blocage (anéjaculation) ou d’un retard (éjaculation retardée) pendant plus de six mois. On distingue les troubles « de tout temps » des troubles situationnels, plus faciles à investiguer et à élucider. Le thérapeute ne doit pas faire l’économie de l’étude des facteurs relationnels (mauvaise communication, désirs ou fantasmes divergents…) et individuels (passé traumatique, dépression ou anxiété…). Il est également nécessaire qu’il soit mis au courant de la prise éventuelle de traitements médicaux, certains médicaments pouvant bloquer l’éjaculation.

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Des réponses thérapeutiques sont ici possibles (hormis pour les troubles neurologiques ou urologiques occasionnant des séquelles définitives), la masturbation étant l’étape privilégiée : tout d’abord par le sujet, puis par le ou la partenaire, supposant une thérapie de couple à laquelle peut être adjointe, en prise en charge individuelle, une thérapie corporelle ou une hypnothérapie, afin de faciliter le « lâcher-prise » difficilement accessible à ces sujets.

Diminution du désir sexuel (anaphrodisie)

L’apparition relativement récente de la notion d’asexualité (absence d’intérêt pour la sexualité) et l’affirmation délibérée de ce désintérêt par certains sujets ou groupes ont permis à des difficultés masculines longtemps occultées de devenir des motifs de consultation en sexologie. Il faut toutefois pointer d’emblée ce paradoxe : l’absence d’intérêt pour la sexualité ne saurait être considérée comme un trouble dès lors qu’elle n’entraîne pas de souffrance significative, chez le sujet ou sa partenaire, par exemple. En matière de sexualité, tout est possible et certains thérapeutes considèrent même l’asexualité – qui concernait, selon Alfred Kinsey, environ 1,5 p. 100 de la population masculine au tournant des années 1950 (catégorie 7 de l’échelle de Kinsey) – comme une orientation sexuelle et se refusent à parler de trouble à son sujet.

La plainte sexologique s’exprime le plus souvent sous forme d’une diminution du désir sexuel (et non d’une absence, plus facilement acceptée) ou, lors d’un changement de partenaire, d’un couple « à satiété différente », le désir de l’autre étant vécu comme un besoin impérieux, inhibant. L’homme ayant peu ou pas de désir – chez le sujet concerné, la période réfractaire (intervalle entre deux rapports, durant laquelle l’excitation est difficile ou impossible) est longue – se sent alors incapable de répondre au désir de l’autre. La pauvreté de l’activité fantasmatique complète le tableau et accentue la désaffection de l’activité sexuelle, pouvant même devenir aversive en cas de sollicitations insistantes.

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D’un point de vue thérapeutique, la durée d’évolution est un critère essentiel dans ce genre de cas, le trouble pouvant être primaire (« de tout temps ») ou secondaire et nécessiter, dans cette hypothèse, un recul d’au moins six mois pour pouvoir poser le diagnostic d’anaphrodisie. On ne saurait en effet le poser lorsque l’origine de la perte d’intérêt pour la sexualité est purement situationnelle, comme c’est le cas pour certains hommes dont le désir est annihilé par la grossesse de leur partenaire ou, plus banalement, lorsque la diminution ou la perte du désir s’inscrit comme symptôme d’un trouble psychiatrique, tel un épisode dépressif.

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