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TROUBLES SOMATIQUES FONCTIONNELS

Lorsqu’un patient dit « j’ai mal », la responsabilité du soignant est de l’accueillir et de le soulager. Pourtant, une même lésion corporelle peut générer des symptômes d’intensité très différente. Parfois, la plainte est très intense alors que la lésion paraît bénigne : le patient a « trop »mal. Il ne s’agit pas alors de penser qu’il simule, car le plus souvent le ressenti est réel. Mais une sensation corporelle est subjective par essence et parfois le symptôme est inhabituellement intense, caractérisant ainsi un trouble somatique fonctionnel c’est-à-dire qui relève d’une altération de la perception du corps plutôt que d’une altération de la structure corporelle elle-même.

Les troubles somatiques fonctionnels ne se limitent pas à la douleur. Ils peuvent concerner tous types de plaintes telles que les vertiges, la nausée, la difficulté à respirer ou avaler, etc. Ils sont particulièrement fréquents, comme en témoigne une étude internationale de 2015 selon laquelle au moins un trouble somatique fonctionnel est présent chez 26,2 à 34,8 % des personnes qui consultent un médecin généraliste. Pourtant, jusqu’à présent, les troubles somatiques fonctionnels échappent largement à une explication scientifique, laissant patients et soignants souvent dépourvus. Il arrive alors qu’un sentiment de frustration s’installe de part et d’autre de la relation de soin. D’un côté, le soignant, confronté à son impuissance, peut adopter des réactions inadaptées ; de l’autre, le patient peut avoir le sentiment que sa douleur est insuffisamment comprise et, par là même, impossible à soulager.

Les sciences cognitives offrent une opportunité de mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent les sensations corporelles et leurs anomalies. En particulier, ils montrent comment la perception du corps peut être affectée par des biais cognitifs qui modèrent l’influence du signal sensoriel périphérique. Si beaucoup reste encore à comprendre, les sciences cognitives permettent de tracer les contours d’une physiopathologie cognitive des troubles somatiques fonctionnels. L’enjeu est crucial pour les soignants comme pour les patients, tant il est vrai qu’une meilleure compréhension de la pathologie permet de s’engager dans une relation d’aide constructive.

Clinique et nosographie

L’histoire de la médecine est émaillée de références à des troubles somatiques d’origine psychique (soma signifie corps en grec ancien et psyché esprit). La notion d’hystérie, notamment, remonte à l’Antiquité. À la fin du xixe siècle, la psychanalyse s’appuie sur l’hypothèse de pulsions inconscientes qui affectent les états mentaux. Les troubles somatiques fonctionnels sont alors compris comme la résolution d’un conflit psychique inconscient à travers une expression somatisée.

Plus d’un siècle plus tard, l’avancement des connaissances médicales a profondément changé le regard sur ces troubles. Aujourd’hui, leur diagnostic ne trouve sa place que dans ce que la médecine du corps ne parvient pas à expliquer. On apprend donc à la faculté qu’il faut d’abord éliminer une pathologie du corps avant de pouvoir envisager une participation psychique aux symptômes somatiques. Les études sur ces symptômes dits « médicalement inexpliqués » ont connu un développement croissant à partir des années 1990 et des syndromes spécifiques ont été identifiés dans chaque spécialité médicale. Il s’agit, par exemple, de la fibromyalgie en rhumatologie, du syndrome de l’intestin irritable en gastro-entérologie, du syndrome d’hyperventilation en pneumologie. À chaque fois, la définition d’un trouble fonctionnel implique l’absence de pathologie du corps pouvant expliquer l’intensité des symptômes. Le Collège américain de rhumatologie a ainsi défini la fibromyalgie de la manière suivante : les symptômes tels que la [...]

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Écrit par

  • : professeur de psychiatrie à l'université de Paris, chef du service de psychiatrie de l'adulte de l'Hôtel-Dieu, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
  • : docteur en médecine, chef de clinique assistant, service de pathologies professionnelles et environnementales, Hôtel-Dieu, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris

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