TROUBLES SOMATIQUES FONCTIONNELS
Mécanismes cognitifs
Un modèle de la compréhension des troubles somatiques fonctionnels ne saurait considérer les sensations corporelles isolément. Les symptômes, s’ils sont ressentis dans le corps, s’inscrivent nécessairement dans un contexte global qui fait intervenir, entre autres, les émotions, la mémoire de sensations corporelles passées, les croyances concernant la signification des sensations pour la santé, etc. Il existe désormais des outils de compréhension cognitive qui permettent de mieux appréhender comment ces différents facteurs s’intègrent pour construire la perception du corps. En découle une esquisse de la physiopathologie cognitive des troubles fonctionnels somatiques.
Un mécanisme central des troubles somatiques fonctionnels dérive du phénomène de conditionnement cognitif. Le conditionnement a été étudié pour la première fois par le physiologiste russe Ivan Pavlov au début du xxe siècle. Dans l’une de ses séries d’expériences les plus célèbres, Pavlov fait entendre à des chiens un son spécifique avant de leur donner de la nourriture. Après plusieurs expositions à cette séquence, les chiens se mettent à saliver dès qu’ils entendent le son. Ainsi, l’arrivée de la nourriture suffit à provoquer un changement corporel anticipatoire chez les chiens. La salivation est dite conditionnée. Il a été suggéré qu’un mécanisme similaire pourrait en partie expliquer les symptômes des troubles somatiques fonctionnels ;les symptômes surviendraient parce que le système cognitif des patients aurait trop tendance à anticiper leur arrivée. En d’autres termes, à l’instar de la salivation des chiens de Pavlov qui attendent la nourriture, les symptômes pourraient apparaître par le seul phénomène du conditionnement cognitif.
Pour comprendre comment le conditionnement cognitif peut générer des symptômes corporels, il faut considérer plus en détail comment est construite la perception du corps. Schématiquement, la perception corporelle est le fruit de l’intégration de deux sources d’information. D’un côté, les signaux nerveux périphériques internes émanent de l’ensemble du corps et rejoignent le cerveau via les relais médullaires et les nerfs vagues. De l’autre, des informations du contexte cognitif jouent également un rôle majeur. Par exemple, les informations alarmantes concernant la dangerosité d’un symptôme pour la santé, ou celle d’un agent infectieux ou d’agents de l’environnement peuvent constituer des biais cognitifs qui influencent la perception corporelle. Celle-ci est le résultat de l’intégration de l’ensemble de ces informations selon le degré de confiance accordé à chacune. Une perception corporelle qui n’est généralement pas associée à un signal d’alarme pour la santé, la position de la main dans l’espace par exemple, ne sera pas influencée par les croyances concernant la santé. À l’inverse, des perceptions corporelles qui pourraient traduire une maladie grave sont davantage sujettes aux biais cognitifs. Chez les patients souffrant de troubles somatiques fonctionnels, il a été suggéré un déséquilibre d’intégration des différentes informations qui participent à la construction de la perception corporelle. D’une part, les signaux internes émanant du système nerveux périphérique sont sous-représentés. D’autre part, les informations du contexte cognitif sont surreprésentées. Ce déséquilibre expliquerait comment la perception corporelle peut être conditionnée à ressentir des symptômes.
Reste à comprendre quels sont les facteurs qui favorisent l’apparition des troubles somatiques fonctionnels. Plusieurs traits spécifiques de personnalité ont été identifiés chez les patients. Parmi eux, la difficulté à identifier ses émotions (alexithymie), la tendance à imaginer systématiquement le pire scénario (catastrophisme) et à voir plutôt le côté négatif que positif[...]
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Écrit par
- Cédric LEMOGNE : professeur de psychiatrie à l'université de Paris, chef du service de psychiatrie de l'adulte de l'Hôtel-Dieu, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
- Victor PITRON : docteur en médecine, chef de clinique assistant, service de pathologies professionnelles et environnementales, Hôtel-Dieu, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris
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